“La Goulue”, blanchisseuse, danseuse et dompteuse, histoire d’une vie

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Nous sommes en 1872. Qui peut penser que cette petite fille de 6 ans qui répond au nom de Louise Weber et qui danse devant la Comtesse de Mogador, (autre personnage à la vie dissolue) dans ce bal de charité présidé par Victor Hugo à l’Elysée Montmartre au profit des enfants d’Alsace et Lorraine va devenir la Reine du French Cancan ?
Elle y pratique,une nouvelle danse inspirée d’une danse andalouse, rupture totale avec celle pratiquée à l’Opéra : le “chahut-cancan”
Considérée très vite comme une danse dépravée, elle ne sera pas reprise dans les bals de société et très critiquée. Mais elle va très vite se répandre dans les bals étudiants et les bals populaires.
C’est une danse où les danseuses s’expriment par des figures nouvelles et des sauts allant jusqu’au grand écart pour lequel elles relèvent leurs jupes à mi mollet, ce qui fait scandale à l’époque.
Elle donnera lieu à une surveillance particulière :dans chaque bal, un garde municipal veille à ce que ces figures restent dans une certaine décence. Ce “père la pudeur”, comme on le baptisait à l’époque n’hésite d’ailleurs pas à verbaliser les danseuses “pour attentat à la pudeur“.

Qu’à cela ne tienne. Le père de Louise Weber va exhiber sa fille dans les mariages et les bals populaires.
A 15 ans, elle perd sa virginité avec un petit artilleur et lorsque la compagne de son oncle qui l’élève après la mort de son père,  l’interroge, elle réplique :

Ma vertu, j’l’ai laissée dans l’ile de la jatte vas y voir !”

> L’indépendance

A 16 ans, déjà assoiffée de liberté et d’indépendance, elle s’installe à Montreuil, rue Antoinette avec Edmond Froelicher qui sera le premier homme avec qui elle vivra. Ils seront nombreux tout au long de sa vie.
Celle année là, elle fréquente le Moulin de la Galette comme danseuse où elle se fait remarquer. Elle travaille aussi comme blanchisseuse et, pour un peu d’argent, pose pour les peintres, notamment Auguste Renoir.
Elève du cours de “cancan” donnée par “Grille d’Egout“, elle y rencontre un jeune bourgeois de son âge, un certain Gaston Goulu Chilapane avec qui elle emménage dans son hôtel de l’actuelle avenue Foch. Elle fréquente aussi le Cirque Medrano où elle est dompteuse.

Elle quitte rapidement Gaston pour un déménageur, Charles Tazzini, mais l’homme est souvent ivre et bat Louise qui résiste. On lui donnera le surnom de “l’intrépide vide-bouteille” car l’alcool ne lui fait pas peur non plus.

Mais c’est le surnom de “La Goulue” qui lui sera donné, en référence à sa précédente liaison et à son goût prononcé pour la boisson et la fête.
Dans le milieu du cabaret, ces noms de scène sont habituels. Nous avons déjà cité Grille-d’Egout mais il y avait aussi à cette époque, Nini Patte En l’Air, Rayon d’Or, la Môme Fromage, Nana Sauterelle et la Môme Gruyère.
C’est avec un danseur, Jules Edme Renaudin dit Valentin le Désossé qu’elle va percer au Moulin Rouge en 1889. Elle a 23 ans.

Louise Weber (1870-1929) dite La Goulue, danseuse de French cancan aux Folies Bergères. Rue des Archives/©Rue des Archives/PVDE

> Au sommet de sa gloire

Ensemble ils tiendront l’affiche du Moulin Rouge, devenant le couple favori de danseurs du “French Cancan”.

Vous avez déjà vu certainement vu cette affiche de Toulouse Lautrec. Elle représente la Goulue avec son chignon, ses cheveux jaunes, son caraco rouge dansant devant Valentin le Désossé en ombre chinoise. Louise Weber est amie avec le peintre qui représente ‘l’âme de Montmartre”.

Mais La Goulue, au delà de ses qualités de danseuse – en plus du grand écart, elle réussit à faire tomber le chapeau de son partenaire en lançant sa jambe en l’air – aime la provocation. Elle ne craint personne. Au futur roi d’Angleterre Edouard VII qui assiste à une de ses représentations, elle n’hésite pas à lancer :

« Hé Galles! Tu paies l’champagne! C’est toi qui régales ou c’est ta mère qui invite? » 

Dans son “Cours de danse fin de siècle”, Eugène Rodrigues-Henriques décrit la danseuse acrobate en ces mots :

Pas de méthode, peu d’ordre, mais un sentiment sûr du rythme et une incontestable franchise de gaieté. Ses bras se lèvent, insoucieux des indiscrétions de la bretelle tenant lieu de manche; les jambes fléchissent, bringuebalent, battent l’air, menacent les chapeaux, en traînant sous le jupon les regards; ces regards voleurs poursuivant là l’entrebâillement espéré, mais toujours fuyant, du pantalon brodé. Et autour d’elle, cette crispation incessante des yeux affole les mâles. Elle le sait, elle le sent, elle le voit, et, imperturbablement, d’un même égal et indifférent sourire, elle sourit. Suivant la progression des figures du quadrille, aux provocantes saillies de son ventre, succèdent les déhanchements lascifs de ses reins; ses bouillonnés, lestement enlevés, dévoilent l’écartement des jambes à travers la mousse des plissés, soulignant, en la chute rapide des Valenciennes, au-dessus de la jarretière, un petit coin de vraie peau nue.
Et de ce morceau de chair vermeille jaillit, jusqu’aux spectateurs haletants, un rayonnement torride d’acier en fusion. Alors, dans une feinte de délire canaille, la bacchante du ruisseau, brusquement troussée jusqu’au ventre, offre en pâture, au cercle avide qui s’est resserré sur elle, l’apparition de ses rondeurs si peu voilées par les transparences des entre-deux de dentelle, qu’à certain point, se révèle, par une tache sombre, la plus intime efflorescence.
Et sur le cercle avide des hommes et des femmes passe un égal tressaillement.
Sans contester la valeur de la Goulue, on peut affirmer qu’une grosse part de sa célébrité revient à ses qualités de fille fraîche, appétissante, fière de ses charmes et trop hardie à les montrer. Constamment elle cherche le geste suspect de la main, du pied, de tout le corps; elle le trouve, elle l’impose et le public applaudit!
La Goulue est une enchanteresse.

Toujours provocatrice, La Goulue termine sa prestation en exhibant son postérieur qui affiche un gros cœur rose, ses 6 mètres de jupon sur la tête, pour la grande joie des spectateurs.

En 1893, elle inaugure l’Olympia.

> Dompteuse, le début du déclin

Riche et célèbre, elle va pourtant décider de changer de vie. En 1895, elle quitte le Moulin Rouge pour les fêtes foraines comme dompteuse. Souhaitant se produire dans une baraque installée à la foire du Trône, elle commande alors à son ami, Toulouse Lautrec des panneaux décoratifs pour orner sa baraque de danseuse orientale. Ces panneaux dispersés plus tard ont été retrouvés pour partie et sont aujourd’hui exposés au Musée d’Orsay.

Louise Weber aura un fils, Simon, né de père inconnu, un “prince” selon elle.

Elle ne connaitra pas le même succès en tant que dompteuse. Le public ne suivra pas. Elle sera même plusieurs fois attaquée par ses fauves dont un s’échappera dans la cité des Batignolles en 1899.
Une seconde blessure avec un de ses pumas la conduira à arrêter définitivement le métier.

Drame sanglant dans la ménagerie de la Goulue en 1904. Rue des Archives/©Rue des Archives/PVDE

Mais c’est surtout la mort de son fils Simon à 23 ans qui la fera sombrer dans l’alcool.

A la veille de la première guerre, la ménagerie de Louise Weber est réduite à deux porcs épics.
La Goulue va se retirer dans une roulote installée à Saint Ouen dans ce qu’on appelle “la Zone”, derrière les remparts au milieu des chiffonniers. Elle y vit entourée de ses trois chats et de son chien Rigolo qu’elle habitue à faire le beau.
De la célèbre “Goulue“, il ne restait qu’une forte femme, usée, et à ceux qui la rencontraient et la questionnaient, elle répondait :

“- Que voulez-vous ? C’est comme ça, il faut être forte ! Le passé, peuh…. je m’en moque.
– Et vous ne regrettez rien ?
– Si la danse, mais la fortune, non !”.

Dans un court métrage de Georges Lacombe, sorti en 1929 sur “La Zone”, on peut voir quelques instants Louise Weber sortant de sa roulotte à Saint Ouen.

Celle que l’on appelle désormais la mère Louise venait de temps en temps dans l’entrée du Moulin Rouge.
Elle s’asseyait près des coulisses pour y vendre des petits pingouins en perle. Un journaliste venu interviewer Mistinguett qui s’y produisait, raconte. Alors qu’il attendait l’artiste devant sa loge, il entendit Louis Weber héler Mistinguett:

” – Mademoiselle, Miss, Mamzelle Miss…”

pour lui vendre un de ses pingouins. La Miss lui prit l’objet et lui glissa un joli billet.
Alors La Goulue parla de son heureux passé, sans amertume, sans regrets et avec une philosophie souriante.

” Monsieur Toulouse de Lautrec me peignait tous les jours, vous savez ! Il m’aimait beaucoup. Il me choisissait pour peindre ses plus grandes toiles”.

13/05/1926 Louis Weber (photo agence Rol)

Peu de temps après, elle tombe malade et demande asile à l’ancien Mirliton d’Aristide Bruant devenu maison hospitalière. On appelle un prêtre à qui elle demande naïvement :

” Mon Père, est-ce que le Bon Dieu me pardonnera ? Y aura-t-il une place pour moi au Ciel ? C’est que je suis La Goulue”.

Elle meurt d’une embolie pulmonaire après plusieurs jours d’agonie à le 29 janvier 1929 à l’hôpital Lariboisière et est enterrée dans l’indifférence générale au cimetière de Pantin. Elle a 62 ans.

> Elle entre enfin dans le légende

Heureusement le temps a fait son œuvre et son arrière petit fils, Michel Souvais, obteint en 1992 de Jacques Chirac, alors Maire de Paris, le transfert de la sépulture de Louis Weber au cimetière du quartier de Montmartre.
Les médias, des personnalités ainsi que deux mille personnes assisteront à cette cérémonie.

Elle a enfin retrouvé la place qu’elle méritait : celle d’une légende de Montmartre.

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