Il existe tellement d’endroits remplis d’histoires dans Paris que j’avoue avoir du choix pour illustrer ce blog.
Mais il en est un particulièrement qui, à lui seul, peut donner lieu à de nombreux articles.
Qui mieux qu’Emile Zola peut nous en parler, avec le magnifique style qui est le sien ?
« Des camions arrivaient au trot, encombrant le marché de la Vallée de cageots pleins de volailles vivantes, et de paniers carrés où des volailles mortes étaient rangées par lits profonds.
Sur le trottoir opposé, d’autres camions déchargeaient des veaux entiers, emmaillotés d’une nappe, couchés tout du long, comme des enfants, dans des mannes qui ne laissaient passer que les quatre moignons, écartés et saignants. Il y avait aussi des moutons entiers, des quartiers de bœuf, des cuisseaux, des épaules.
Les bouchers, avec de grands tabliers blancs, marquaient la viande d’un timbre, la voituraient, la pesaient, l’accrochaient aux barres de la criée ; tandis que, le visage collé aux grilles, il [Florent] regardait ces files de corps pendus, les bœufs et les moutons rouges, les veaux plus pâles, tachés de jaune par la graisse et les tendons, le ventre ouvert.
Il passa au carreau de la triperie, parmi les têtes et les pieds de veau blafards, les tripes proprement roulées en paquets dans des boîtes, les cervelles rangées délicatement sur des paniers plats, les foies saignants, les rognons violâtres.
Il s’arrêta aux longues charrettes à deux roues, couvertes d’une bâche ronde, qui apportent des moitiés de cochon, accrochées des deux côtés aux ridelles, au-dessus d’un lit de paille ; les culs des charrettes ouverts montraient des chapelles ardentes, des enfoncements de tabernacle, dans les lueurs flambantes de ces chairs régulières et nues ; et, sur le lit de paille, il y avait des boîtes de fer-blanc, pleines du sang des cochons »
Ce texte est tiré du livre “Le Ventre de Paris” (1873).
Oui, vous avez deviné. C’est des Halles dont je veux vous parler.
L’origine des Halles remonte au XIIème siècle, en 1137, lorsque Louis VI met en place un premier marché à cet emplacement, sur d’anciens marécages. Et c’est Philippe Auguste qui y ajoutera en 1183 les premières halles en bois.
Les Halles y resteront huit siècles.
Le 14 mars 1960, le transfert à Rungis est décidé. C’est Michel Debré alors Premier Ministre qui en prend la décision. Le 3 mars 1969, le marché de Rungis ouvre officiellement ses portes.
La suite vous la connaissez : c’est la destruction des pavillons Baltard. Un pavillon, le no 8, qui abritait le marché aux œufs et à la volaille, est démonté et reconstruit à Nogent sur Marne pour y abriter une salle de spectacle baptisée « Pavillon Baltard ».
Devant la crainte d’une invasion de rats à la recherche de nourriture, maintenant que le marché avait disparu, 150 techniciens déversèrent 10 tonnes d’aliments empoisonnés dans les locaux abandonnés, permettant de tuer environ 20 000 rats. Peut-être était ce la boutique Aurouze qui existe toujours au 8, rue des Halles et dont nous avions parlé dans un précédent article, qui avait fourni le poison.
Un ancien article vous avait aussi fait découvrir le circuit surprenant du poisson pour une arrivée matinale aux Halles.
Mais, il y aurait bien des choses à raconter sur les Halles. Un article n’y suffira pas. C’est pourquoi, nous allons nous intéresser uniquement à trois sujets.
> Les tasseurs
Lors de la mise en place des nouvelles Halles de Baltard, les règles étaient devenus très strictes. Sur le carreau, les emplacements étaient bien délimités.
Le marché débutait avec la nuit.
Chaque mètre carré du carreau était tracé pour délimiter les emplacements des vendeurs.
A l’époque des chevaux, les maraichers des environs de Paris venaient dans la nuit apporter leurs récoltes aux Halles. Souvent, le maraicher dormait sur la cariole pendant les 3 heures du trajet.
Le cheval, connaissant le chemin qu’il faisait tous les jours, amenait seul le chargement à destination. A l’arrivée on réveillait le maraicher.
Avant que les cageots et caisses soient utilisés, vers 1950, tous les légumes étaient entassés à même le sol, carottes, navets, poireaux, salades.
Les voitures des maraichers ou des cultivateurs arrivaient chargées à ras bord, se rangeaient près des emplacements et des hommes faisaient la chaîne pour transférer les légumes sur le carreau.
En bout de chaîne, les “tasseurs” empilaient la marchandise afin de faire un tas le plus haut possible pour mettre le plus de légumes dans l’espace délimité.
Les hommes déchargeaient par exemple 2800 à 3000 bottes de poireaux à l’heure.
Ensuite, épuisés, ils allaient dormir une heure ou deux dans les arrière salles de bars des Halles sur des paillasses et revenaient au moment de la vente pour le transport des clients.
> Les forts des Halles
Une corporation va aussi disparaître avec le transfert du marché à Rungis, celle de ces porteurs qu’on nommait les forts des Halles.
On les appelait anciennement les “700 musclés“.
Ces manutentionnaires étaient chargés de transférer les marchandises de l’extérieur vers l’intérieur des pavillons.
Leur tenue était caractéristique car ils portaient le « coltin » : un vaste chapeau en cuir jaune à très larges bords et muni d’une calotte de plomb à l’intérieur, qui leur permettait de supporter les lourdes charges « coltinées » sur la tête et qui la protégeait, ainsi que le cou et les épaules. D’où l’expression “se coltiner” pour subir, supporter quelque chose de pénible ou devoir faire une corvée.
Pour faire partie de cette corporation, il fallait être très robuste physiquement, être français, avoir fait son service militaire, avoir son certificat d’études et un casier judiciaire vierge.
Le test de la dictée était éliminatoire.
Mais il fallait surtout passer avec succès une épreuve consistant à porter sur une distance de 60 mètres une charge de 200 kg composée de pavés des rues de Paris.
Parmi ces forts des Halles, les plus impressionnants étaient ceux qui travaillaient au pavillon de la viande.
Chaque matin, ils débarquaient les carcasses de demi bœuf qui arrivaient des abattoirs par camion, les portaient sur une bonne soixantaine de mètres pour venir les pendre aux crocs du pavillon.
Elles pesaient plus de 120 kg en moyenne et pouvaient atteindre 200 kg. Une équipe de forts déchargeait ainsi jusqu’à 1000 carcasses dans la nuit. 2 forts mettaient 30 mn pour décharger 5 tonnes de viandes !
Pour ceux qui veulent en savoir plus, je vous recommande les reportages archivés aujourd’hui à l’INA. Celui là dure 1 heure 5 mais vous mettra dans l’ambiance.
Il était de tradition que les Forts des Halles apportent le muguet au Président de la République chaque 1er mai.
En1952, les Forts des Halles étaient au nombre de 710. Ils n’étaient plus que 269 lors du transfert à Rungis en 1969.
Un arrêté du préfet de police, en date du 22 février 1969 transforma les Forts des Halles en un corps d’agents de contrôle et de surveillance.
> Le louchébem
Que ce soit dans les Halles ou dans les boucheries des environs, on parlait un drôle de langage.
Peut-être une habitude créée pour que les bouchers puissent parler entre eux face à un client casse-pieds.
Les bouchers avait leur argot : le louchébem. Pour sa syntaxe, il reprend la construction de l’argot des brigands parlé au début du XIXe siècle dans les prisons françaises.
Le louchebem était parlé dans les Halles, les abattoirs et les boucheries.
Pour que vous puissiez briller en société, je vais vous en donner les clés.
Pour parler “Louchébem“, rien de plus simple : vous remplacez la première lettre du mot par un L, puis vous placez cette première lettre à la fin du mot. Enfin pour décorer le tout vous rajouter un suffixe –é, -em, -oc, –uche, –ic selon la sonorité et les goûts de chacun.
Prenons un exemple le mot “BOUCHER“.
BOUCHER devient OUCHÉB puis LOUCHÉB et enfin LOUCHÉBEM
C’est simple.
Dans la conversation “Sert un morceau de gigot à Madame” deviendra “Lerssem un lorceaumic de ligogem à ladamematte“.
Certes il vous faudra un peu d’entrainement.
Mais en attendant : “A lientôbem pour de lautrequés lanecdotepuches sur laripocs“…