Non, il ne s’agit pas d’une nouvelle version du film “Vincent, François, Paul… et les autres” réalisé par Claude Sautet en 1974 mais du nom des 10 cloches de la cathédrale Notre Dame de Paris.
Le savez-vous ? Chaque cloche d’église ou de monument religieux porte un prénom et est baptisée. Jusqu’à la Révolution, elle était même inscrite au registre de l’état-civil de la commune comme tout nouveau né.
Il y a en France plus de 300.000 cloches dont 4.500 sont classées. Notamment celles qui sont antérieures à la Révolution Française, époque où un grand nombre de cloches furent détruites ou fondues.
Les cloches des églises ont toujours rythmé la vie quotidienne des villageois.
Si elles les invitaient à l’office, elles célébraient les baptêmes, les mariages et les enterrements. Depuis le Concordat, en 1801, elles sonnent aussi les heures de la journée.
> Saintiers et Sonneurs de Cloches
Nous avons tous en mémoire le personnage du roman de Victor Hugo, “Notre Dame de Paris“, Quasimodo, sonneur de cloche sourd de la cathédrale.
Au Moyen-Age, sonneur de cloche était un métier dangereux car il était courant que la foudre frappe l’église.
Même si les cloches portaient quelques fois l’inscription “Fulgura Frango” (“Je détruis la foudre”), les accidents étaient nombreux, le bronze étant très conducteur.
Avant que des fonderies spécialisées soient créées, c’étaient les “saintiers” qui se déplaçaient de village en village pour réparer une cloche fendue ou refondre une nouvelle cloche.
Ils fondaient aussi les canons. Il faut dire que cloche et canon comportent le même alliage de bronze (78% de cuivre rouge et de 22% d’étain) et sont réalisés de la même manière.
Ce métier était complexe, car il fallait à la fois maîtriser le feu, la terre, le métal et l’air.
La technique de la fonte, les secrets du métier, la composition de l’alliage, la confection des moules se transmettaient de père en fils.
Une fois l’apprentissage fait au sein de la famille, le saintier prenait souvent la route plusieurs mois au début du Carême, le mercredi des Cendres.
La technique de fabrication d’une cloche monumentale n’a pas bougé depuis des siècles.
Les moules sont un empilement de couches d’argile, de crottin de cheval et de poils de chèvre sur un noyau de briques. Et la fonte est toujours coulée à l’envers dans le moule, lui-même installé dans une fosse.
Aujourd’hui, il ne reste que 3 fondeurs de cloches en France dont la Fonderie Cornille Havard qui a notamment fondu 8 cloches pour Notre Dame en 2013.
> Une technique héritée du Moyen-Age
A l’exception de la phase de conception qui est aujourd’hui informatisée, permettant de déterminer la forme, la masse en fonction de la note attendue, le processus de fabrication reste celui qui était utilisé au Moyen-Age.
Un foyer central est construit en briques. Il est recouvert sur son extérieur d’un mélange d’argile, de crottin de cheval et de poils de chèvre qui va donner la forme intérieure de la cloche. Une couche isolante est ensuite posée pour accueillir la “fausse cloche“.
Constituée d’argile et recouverte de cire, elle prend la place de la future cloche.
Les motifs d’ornement de la cloche sont réalisés en cire. Le tout est recouvert à nouveau d’un mélange d’argile, de crottin de cheval et de poils de chèvre. On appelle cette partie “la chape“.
Tout au long du processus, le feu sèche les différentes couches; la cire fond et marque les empreintes des décors dans la chape. Puis la chape est soulevée et la fausse cloche cassée.
La chape est remise à sa place et le bronze est coulé à 1200 degrés.
L’ensemble ira refroidir dans une fosse.
Chez /Cornille Havard, on coule toutes les cloches, y compris les plus grosses, la tête en bas. Cela a permis d’améliorer la musicalité des cloches.
L’atelier se visite. Si vous passez par le département de la Manche, n’hésitez pas à vous arrêter à la fonderie à Villedieu-les-Poêles.
> Les cloches de Notre Dame sonnaient faux
Revenons aux cloches de Notre Dame.
En 2011, pour les 850 ans de la cathédrale, il est décidé de remplacer une partie des cloches, celles-ci ne sonnant plus très juste.
Il est surtout envisagé de restaurer l’ensemble des cloches telles qu’elles étaient au Moyen-Age et avant la Révolution. Des recherches sont faites et une somme de près de 2 millions d’euros est collectée via des fonds privés.
Sur l’ensemble des cloches de Notre Dame, seul le bourdon “Emmanuel” reste en place. Il date de 1681 et a été fondu à partir de l’ancien bourdon “Jacqueline” qui datait de 1430.
D’un diamètre de 2,62 m, il pèse plus de 13 tonnes.
Un campanologiste vous préciserait qu’il sonne en fa#.
Les quatre cloches sont déposées et contrairement à une idée reçue, elles ne sont fondues pour faire de nouvelles cloches.
Il avait été envisagé qu’elles soient fondues et servent à la fabrication puis à la vente de 100 000 clochettes à 2 € l’unité, 10 000 à 20 € l’unité et 100 à 200€ l’unité.
Elles sont finalement exposées, à l’extérieur au niveau du chevet nord de la cathédrale où elles sont toujours visibles depuis la rue, en face du numéro 6 ter de la rue du Cloître-Notre-Dame.
En 2013, c’est la fonderie Cornille Havard qui est chargée de la fabrication des 8 nouvelles cloches.
Elles seront baptisées et exposées au public avant d’être installées dans les beffrois de la cathédrale.
“Gabriel” sonne le la; “Anne-Geneviève” sonne un si ; “Denis” sonne un do ; “Marcel” sonne un ré ; “Étienne” sonne un fa ; “Benoît-Joseph” sonne un fa ; “Maurice” sonne un sol et enfin, “Jean-Marie” sonne un la.
Un second bourdon, Marie, est ajouté et fondu par la manufacture Royal Eijsbouts.
Il sonne en sol#.
L’ensemble des cloches pèse plus de 35 tonnes.
> L’incendie de 2019
Lors de l’incendie, seules les alimentations électriques des cloches ont été affectées.
Par mesure de sécurité, elles ont toutes été déposées, notamment pour effectuer des travaux de restauration dans les beffrois.
Elles ont dû être nettoyées du plomb qui s’est répandu dans toute l’édifice.
Patience, il ne nous reste que quelques mois avant de les entendre à nouveau.
En attendant, revenons un instant à la littérature pour retrouver le texte Victor Hugo.
Il monta donc dans la tour septentrionale.
Parvenu dans la haute cage de la sonnerie, Quasimodo considéra quelque temps avec un triste hochement de tête les six campaniles, comme s’il gémissait de quelque chose d’étranger qui s’était interposé dans son cœur entre elles et lui.
Mais quand il les eut mises en branle, quand il sentit cette grappe de cloches remuer sous sa main, quand il vit, car il ne l’entendait pas, l’octave palpitante monter et descendre sur cette échelle sonore comme un oiseau qui saute de branche en branche, quand le diable musique, ce démon qui secoue un trousseau étincelant de strettes, de trilles et d’arpèges, se fut emparé du pauvre sourd, alors il redevint heureux, il oublia tout, et son cœur qui se dilatait fit épanouir son visage. Il allait et venait, il frappait des mains, il courait d’une corde à l’autre, il animait les six chanteurs de la voix et du geste, comme un chef d’orchestre qui éperonne des virtuoses intelligents.
– Va, disait-il, va, Gabrielle. Verse tout ton bruit dans la place. C’est aujourd’hui fête.
– Thibault, pas de paresse. Tu te ralentis. Va, va donc! Est-ce que tu t’es rouillé, fainéant?
– C’est bien! Vive! Vite! Qu’on ne voie pas le battant. Rends-les tous sourds comme moi. C’est cela. Thibault, bravement !
– Guillaume ! Guillaume ! Tu es le plus gros, et Pasquier est le plus petit, et Pasquier va le mieux. Gageons que ceux qui entendent l’entendent mieux que toi.
– Bien ! bien ! Ma Gabrielle, fort ! plus fort !
– Hé ! Que faites-vous donc là-haut tous deux, les Moineaux ? Je ne vous vois pas faire le plus petit bruit.
– Qu’est-ce que c’est que ces becs de cuivre-là qui ont l’air de bâiller quand il faut chanter ? Çà, qu’on travaille ! C’est l’Annonciation. Il y a un beau soleil. Il faut un beau carillon.
– Pauvre Guillaume ! Te voilà tout essoufflé, mon gros !
Il était tout occupé d’aiguillonner ses cloches, qui sautaient toutes les six à qui mieux mieux et secouaient leurs croupes luisante comme un bruyant attelage de mules espagnoles piqué çà et là par les apostrophes du sagal.