La poste pneumatique sous les pavés de Paris, ancêtre de l’email

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A votre avis cette carte est-elle celle du réseau du métro au début du XXème siècle ? Pas du tout, mais bien celle d’un réseau souterrain qui fonctionna jusqu’au 30 mars 1984. Aujourd’hui, son principe technique est toujours utilisé dans certaines banques, les hôpitaux, certaines administrations et les grandes surfaces. Vous avez d’ailleurs sûrement vu une caissière enrouler des liasses de billets, remplir un bon de remise et introduire le tout dans un petit cylindre dans un tube qui chemine au dessus des caisses. C’est le système de transmission pneumatique à air comprimé.

Si vous voyez désormais le système à air comprimé dont je vous parle, combien d’entre vous savent que ce dispositif a révolutionné les échanges à la fin du XIXème siècle, à l’époque du “pneu” ?

Au cinéma, au théâtre on entend quelque fois j’ai reçu hier un pneumatique”.
Dans le film À bout de souffle de Jean-Luc Godard (1960), le journaliste américain raconte d’ailleurs comment il envoie un pneumatique à « une fille [qu’il] connaît depuis deux ans » pour lui proposer de coucher avec lui ; « trois heures après », il reçoit une réponse par pneumatique.

> Les premiers essais

Nous sommes en 1865 et le réseau de télégraphe connait de grandes difficultés dans les grandes villes comme Londres, Bruxelles ou Paris.
Le bureau central de la rue Grenelle reçoit les télégrammes de toute la France et de l’Etranger et doit les répartir dans les postes de la capitale. C’est un service de voitures légères qui assure cette mission. Rien qu’entre le bureau central et la Bourse, par exemple, il y a un service tous les quarts d’heure. Mais le service sature et Napoléon III va miser sur une nouvelle technologie que Londres et Berlin viennent de mettre en œuvre : un circuit de tubes qui transportent à grande vitesse des cylindres grâce à l’air comprimé.
En 1866, un premier tube de plus d’1 km est installé à ciel ouvert entre Le Grand Hôtel et la Bourse. Trois cuves alimentent ce circuit. Une est remplie de l’eau de la Ville, les deux autres servent à stocker l’air comprimé et faire le vide.
Ces essais sont concluants. Le réseau est étendue jusqu’au bureau central de la rue de Grenelle. Le télégraphe pneumatique parisien est né.

> Le fonctionnement du dispositif

Paul Laurencin nous en décrit le principe dans “Le télégraphe terrestre, sous-marin, pneumatique : histoire, principes, mécanismes” (1877)

“La station centrale de la poste pneumatique est établie rue de Grenelle, dans l’un des bâtiments qui appartiennent à l’administration des lignes télégraphiques. De cette station part un tube qui arrive rue Boissy-d’Anglas, de là se dirige vers le Grand-Hôtel du boulevard des Capucines, puis place de la Bourse, place du Théâtre-Français, rue des Saints-Pères, et revient de cette dernière station au point d’arrivée.
Sur ce trajet, qui constitue la ligne principale, s’étend un tube en fer étiré, d’un diamètre de soixante-cinq millimètres, poli intérieurement, formé par des fragments de 5 à 6 mètres de longueur, dont les joints sont assemblés avec beaucoup de soin.
Les boîtes appelées aussi chariots porteurs et curseurs sont des tubes courts formés de deux parties :
l’une en tôle, dans laquelle on enferme les dépêches au nombre d’un trentaine; une autre en cuir recouvrant et fermant la première. Le train se compose d’un nombre variable de ces boîtes disposées à la suite.”

Le fluide comprimé pousse le convoi à dépêches du bureau expéditeur au bureau récepteur, avec une vitesse d’un kilomètre par minute. Prévenu par le jeu d’une sonnerie électrique du départ du convoi, le bureau destinataire répond, par un coup de timbre également électrique, qu’il est prêt à le recevoir.

Bureau de la poste pneumatique de la Bourse (Louis Figuier) Les merveille de la science

” Écoutez : un bruit rapide et acéré comme un sifflement de javelot vient d’y passer : c’est le chariot de cuivre, chargé de dépêches, qui franchit l’espace dans le tube du télégraphe pneumatique. Paris est bien réellement un corps vivant ; les organes cachés de ses fonctions ne se reposent jamais.”

Ainsi décrit Maxime Vuillaume le bruit si caractéristique des tubes de la poste pneumatique.

En 1879,  le réseau couvre déjà 71 km de lignes qui desservent 40 bureaux à Paris. Il s’appuie sur l’aménagement des égouts par l’ingénieur Belgrand qui permet d’y loger une grande partie des tubes du réseau.
La vitesse de transmission moyenne est désormais de 40 km/h ! C’est sans précédent.

> 467 kms de tubes souterrains

En 1879, par décret de Mac-Mahon, le réseau est ouvert à un usage public.
En 1934, le réseau parisien s’étend à 467 km de tubes. Il dessert près de 130 bureaux et distribue plus de 10 millions de messages par an.
Cette véritable toile d’araignée souterraine devient alors le réseau le plus vaste et le plus dense du monde.
Des facteurs spéciaux, les « tubistes », acheminent les correspondances les plus urgentes, appelées les « petits bleus » par allusion à leur couleur, jusqu’au domicile du destinataire en moins de deux heures.

Si le réseau téléphonique peine à se déployer, la poste pneumatique achemine les plis en moins d’une heure.
C’est un système a part entière avec son personnel spécifique : le facteur tubiste chargé de gérer les correspondances qui arrivent dans les bureaux, le mécanicien qui fait fonctionner les machines à vapeur, le facteur cycliste ou à motocyclette qui achemine les correspondances du bureau de poste au domicile du destinataire.

Le réseau fonctionnera plus d’un siècle.

Malgré un programme de modernisation, la poste pneumatique ne résistera pas au déploiement des centres de tri automatisé du courrier. Ni à la généralisation du téléphone et la mise en œuvre du télex. En 1957, son coût est 5 fois supérieur à la lettre ordinaire.

 Le ministère des PTT interrompt le service à Paris le 30 mars 1984. C’est en fini de la période où avec les pneus de la poste pneumatique, on prenait des rendez-vous amoureux.

le monde comique 1er janvier 1885

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