En 2022, vous vous souvenez sûrement de ces nombreuses plaintes déposées par des fêtards de boîtes de nuit un peu partout en France. Ils faisaient état de piqûres reçues sur les pistes de danse ou au bar en divers endroits du corps. Certaines victimes évoquaient des bouffées de chaleur, nausées, malaises, pertes d’équilibre, ou fourmillements. Visiblement il ne s’agissait pas de piqûre au GHB (L’acide 4-hydroxybutanoïque dite la drogue du violeur). Une étudiante grenobloise de 20 ans, avait “eu un voile noir d’un coup devant les yeux”. “J’ai perdu complètement ma vision. (…) Pendant la nuit, j’ai eu très mal à la fesse droite et à la jambe. Des douleurs comme après le vaccin du Covid”, racontait-t-elle dans le Parisien.
Or, ce phénomène des “piqueurs” n’est pas nouveau puisqu’en 1819, le 12 décembre la Préfecture de Police fit publier cet article dans Le Moniteur :
” Un particulier dont on n’a pu se procurer le signalement que d’une manière imparfaite, se fait depuis quelque temps un plaisir cruel de piquer par derrière, soit avec un poinçon, soit avec une longue aiguille fixée au bout d’une canne ou d’un parapluie, les jeunes personnes de quinze à vingt ans que le hasard lui fait rencontrer dans les rues, sur les places ou dans les promenades publiques. […] Son Excellence le ministre d’État préfet de police a donné les ordres les plus sévères pour l’arrestation de cet individu qui, jusqu’à ce moment, a échappé à toutes les recherches. Comme il importe de découvrir l’auteur d’un pareil attentat, on croit devoir signaler à l’attention publique et engager tous les citoyens à s’unir à l’autorité pour qu’il ne reste pas impuni.”.
Cet article aurait dû permettre de mobiliser la population en vue d’arrêter l’odieux piqueur de fesses mais il eût bien un effet contraire : celui de décupler les peurs.
Dès la publication de l’article, le nombre d’agressions relatées augmente de façon exponentielle : une jeune fille attaquée au Jardin des Tuileries, trois femmes blessées à la sortie de l’Opéra, une fillette de 6 ans piquée devant la boutique de son père. Des récits et des articles de presse viennent alimenter la rumeur. On notera plus de 400 signalements. La psychose enfle. Les femmes n’osent plus sortir de chez elles. Une femme serait morte 24 heures après avoir été piquée. On ne parle plus d’un piqueur de fesses mais d’un groupe.
Le ou les piqueurs de fesses s’attaquent désormais aux hommes :
” Un jeune homme a été blessé au théâtre de l’Odéon, à l’instant où il prenait un billet. Un autre a été piqué dans la rue des Colonnes, près de Feydau. La blessure est encore très douloureuse, et le jeune homme est dangereusement malade. » cite la Gazette de France. Là, c’est est trop ! L’Empereur Napoléon III crée une brigade spéciale de police pour traquer les piqueurs.
Si la panique devient collective, comme souvent en pareil cas, d’autres essayent d’en tirer parti. Un pharmacien de l’Ile de la Cité, Monsieur Liebert, lançe une pommade véritable antidote contre ces piqûres. On évoque aussi un armurier qui aurait façonné un protège-fesses en métal léger.
Mais la police ne pouvant laisser plus avant cette rumeur troubler l’ordre public c’est la brigade de sureté dirigée par le célèbre Vidocq qui arrête fin janvier 1820 un garçon tailleur de 35 ans, Auguste-Marie Bizeul. L’homme sera reconnu par seulement 3 victimes. Etait-il réellement coupable ou a-t-il servi de bouc émissaire ? Le saura-t-on un jour ? Il écopera de 5 ans de prison et de 500 francs d’amende.
Je n’aurais pas osé écrire ici que Bizeul, le piqueur de fesses s’était fait “piquer”. Le Journal des débats du 26 janvier n’hésita pas lui, avec beaucoup d’humour, de noter que « jamais affaire plus piquante ne s’est offerte à la curiosité d’un nombreux auditoire »