Profession ennemi public

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Nous sommes le 2 novembre 1979 en début d’après-midi. A bord de la BMW immatriculée 83 CSG 75, un couple. Il est 15h15 lorsque le véhicule traverse la Porte de Clignancourt puis s’arrête au rond-point pour tourner à gauche vers le boulevard Ney.
A cet instant, un camion bleu bâché se trouve devant la BMW et une Peugeot 305 beige vient se positionner à droite de la voiture. Un homme en sort rapidement et tire sur la BMW. Simultanément des hommes embusqués dans le camion bâché ouvrent le feu sur le véhicule. Le conducteur de la BMW s’effondre sur le volant.
A 42 ans, la cavale de l’homme le plus recherché de France, Jacques Mesrine, vient de s’achever sous les balles des policiers de la BRI (Brigade de Recherche et d’Intervention).
L’autopsie révèlera dix huit impacts de balles sur son corps.

Nous savions que Mesrine était armé, qu’il possédait notamment deux grenades défensives et nous ne pouvions pas prendre le risque de le laisser tirer sur la foule ou sur nous, c’est pourquoi nous avons ouvert le feu les premiers.

dira Maurice Bouvier, le patron de la police judiciaire qui supervisait l’opération.
La passagère est blessée au bras et perdra un œil. Son caniche est tué.

Cette intervention des policiers sera très vite assimilée à une exécution.
Selon les policiers, Mesrine aurait fait un geste en direction des grenades qu’il avait disposées au pied de la passagère, sa compagne d’alors. Des témoins évoqueront bien des sommations criées par les policiers mais après les coups de feu : ” Bouge pas ! T’es fait ! “.

: Getty Images / AFP / Marcel Binh, Michel Clément, Georges Bendrihem, Patrick de Noirmont

Il est vrai que Mesrine nargue les policiers depuis des années et est un habitué des médias.
Un temps défenseur des conditions de détention dans les QHS (Quartiers Haute Sécurité) voire des surveillants pénitentiaires, l’homme est certes un truand mais il véhicule une image de Robin des Bois. Alors mythe ou réalité ? Retour sur une vie qui fera couler beaucoup d’encre et inspirera de nombreux documentaires, livres et un film à deux volets de Jean-François Richet avec Vincent Cassel : L’Instinct de mort  et L’Ennemi public n°1.

> De la dentelle aux vols à main armée

Jacques Mesrine est né dans une famille bourgeoise de commerçants de dentelle de luxe.
Ses parents souhaitent qu’il fasse des études à la Haute Ecole du Commerce (HEC) mais il n’aime pas les études. Renvoyé du lycée pour violences envers le proviseur, il devient représentant en tissus, distribue la revue satirique du Professeur Choron, vend des aspirateurs en porte à porte mais revient aussi sur les lieux pour les cambrioler.
Jacques Mesrine devance l’appel et participe à la guerre d’Algérie. Il y apprend le maniement des armes et y est même décoré.
Il rapporte d’ailleurs un pistolet qu’il garde désormais toujours sur lui. Il aurait été membre de l’OAS en 1961.

A son retour en France, à l’âge de 23 ans il va participer à de nombreux vols et attaques à main armée. Il sera arrêté et  condamné pour la première foi à dix-huit mois de prison en mars 1962.
De 1965 à 1972, il commet de nombreux méfaits tant en France qu’à l’étranger.
Il se forgera une réputation de dur à cuire en racontant qu’il a tué les trois souteneurs de la call girl qui devient sa compagne après son divorce. Aucune trace de ces meurtres n’a pourtant été retrouvée dans les archives policières.
Au Canada, le couple entre au service d’un millionnaire handicapé, Georges Deslauriers.
Renvoyés à la suite d’une dispute, Mesrine enlève le milliardaire et demande 200.000 dollars de rançon mais Gorges Deslauries parvient à s’échapper.
Le couple s’enfuit aux Etats Unis et séjourne dans un motel dans lequel on retrouve le corps de la propriétaire, Évelyne Le Bouthilier. Elle a été étranglée.
Mesrine est soupçonné, arrêté et extradé au Canada.
A sa sortie d’avion il fanfaronne et reprend la célèbre phrase du Général de Gaulle : “Vive le Québec libre !”.
Les journaux canadiens le baptisent “l’ennemi numéro 1”.
Le couple sera innocenté du meurtre d’Evelyne Le Bouthilier mais condamné à 3 et 5 ans de prison pour l’enlèvement de Georges Deslauriers.
Avec Jean Paul Mercier, Jacques Mesrine réussit à s’évader de la prison de Saint Vincent de Paul au Québec, prison pourtant bien gardée puisqu’on comptait 65 gardiens pour 62 détenus. Pire, ils reviennent pour libérer d’autres prisonniers quelques jours plus tard et blessent grièvement deux gardiens.
Les deux hommes, entre plusieurs cambriolages, tueront deux garde-chasse attirés par les bruits des détonations alors qu’ils s’entrainaient au tir en forêt.

On voit déjà que Mesrine est loin de l’image d’un Robin des Bois.
Pourtant l’homme va créer le mythe.
Alain Normandeau, criminologue qui l’a rencontré plusieurs fois dans sa cellule à cette époque nous le décrit ainsi :

« Jacques Mesrine n’était pas très grand, mais il avait un charisme incroyable. Il séduisait tout le monde, autant par ses propos que par sa prestance. Pour tout dire, il a même convaincu les gardiens de s’élever contre l’administration de la prison. Suivant ses conseils, ils ont organisé une conférence de presse très courue par les médias”.

> Le retour en France

Nous sommes en décembre 1972 et Mesrine poursuit ses méfaits : braquages d’une usine à Gisors, attaque d’une caissière, altercation dans un bar où il blesse grièvement un policier qui s’interpose. Il sera néanmoins arrêté et condamné à 20 ans de prison.
Mais pour une banale affaire antérieure de chèques sans provision, il est extrait de sa cellule et en profite pour s’évader du tribunal de Compiègne en prenant en otage son président, grâce à une arme dissimulée par un complice dans les toilettes. Il enchaîne attaques à main armée, vol de paie des ouvriers d’usine et braquage de banques qu’il prend un malin plaisir à attaquer deux fois à quelques jours d’intervalle.

> Première rencontre avec le Commissaire Broussard

 Le 28 septembre 1973, Mesrine est arrêté par le Commissaire Broussard dans son appartement du 13ème arrondissement, rue Vergniaud.
Après des heures de négociation avec les policiers, il finit par ouvrir la porte, cigare aux lèvres et offre le champagne au commissaire Robert Broussard en lui disant : « Tu ne trouves pas que c’est une arrestation qui a de la gueule ? “.
En prison, Mesrine se lie avec un compagnon de cellule, Jean-Charles Willoquet.
Ils préparent une évasion mais seul Willoquet réussit en promettant à Mesrine qu’il reviendra le délivrer, ce qu’il ne fera jamais.
En novembre 1975, Mesrine s’en prend à un journaliste du magazine  L’Express, Jacques Derogy, à qui il envoie une lettre de menaces, mécontent d’un article de celui-ci intitulé “Le duo Willoquet-Mesrine“.
Placé au secret pour menaces de mort, il décide d’écrire son autobiographie L’Instinct de mort, qui paraît le 3 mars 1977. Il y déclare avoir tué 39 personnes. 

« Il y a chez Mesrine un petit tueur qui se voudrait grand

dira de lui le criminologue René Reouven.

Le 19 mai 1977, Mesrine est condamné à 20 ans de prison pour vols à main armée, recel et port d’armes par la cour d’assises de Paris.
Lors de l’audience, le truand fait encore un numéro théâtral : il sort une petite clé de sa cravate qu’il jette aux journalistes en présentant la clé comme celle de ses menottes, obtenue auprès d’un policier véreux, arguant de la corruption de la police et de la justice.
Il est transféré dans les quartiers de Haute Sécurité de la prison de la Santé et engagera un combat médiatique pour leur abolition, les jugeant inhumains et dégradants.

> L’évasion avec François Besse

Le 8 mai 1978, à 10 h, accompagné de François Besse, profitant de complicités à l’intérieur de la prison, Mesrine s’évade de la prison de la Santé et braque une armurerie puis dévalise le Casino de Deauville.
300 gendarmes et le GIGN sont à leur recherche. En vain.
Et Mesrine poursuit ses attaques à main armée, notamment à la Société Générale du Raincy.
Dans un entretien à Paris-Match le 4 août 1978, il se montre menaçant envers quiconque voudrait tenter de l’arrêter, prétend faire abolir les quartiers de haute sécurité (QHS) par Alain Peyrefitte, ministre de la Justice.
Le 10 novembre 1978, il envisage d’assassiner le juge Charles Petit, président de la cour d’assises de Paris.
C’est lui qui l’a condamné en 1977 à 20 ans de prison.
Mais le juge n’est pas chez lui. Mesrine prend sa famille en otage, gaze un enfant en bas âge mais le fils du juge réussit à prévenir la police.
Le truand échappera de justesse à la police. Il continuera néanmoins à rencontrer la presse régulièrement.

Le 21 juin 1979, Mesrine enlève le milliardaire Henri Lelièvre et demande une rançon de 6 millions de francs

> Création d’une unité anti-Mesrine

On a souvent évoqué une guerre des polices autour des filatures qui s’organisaient pour tenter d’arrêter Jacques Mesrine.
Il est sûr que le truand avait le don pour se moquer des forces de l’ordre, tant par ses évasions, ses méfaits et surtout ses relations avec la presse.  
Mesrine ne quitte pratiquement plus l’actualité. 
Un sondage publié dans Paris-Match en janvier 1979 est révélateur. Dans la rubrique « les gens qui à un moment donné ont fait la une de l’actualité », Mesrine arrive en première place.
Le Canard enchaîné du 10 mai 1978 se gausse de Christian Bonnet, ministre de « l’Extérieur » .

> Une unité anti-Mesrine est créée en août 1979.

Mesrine, quant à lui, toujours très attentif aux articles qui parlent de lui, va s’en prendre le 10 septembre au journaliste de Minute Jacques Tillier, lui reprochant de l’avoir diffamé en écrivant en août 1979 qu’il n’était pas une personne “réglo” avec ses associés et que c’était “un bandit sans honneur”.
Le journaliste est enlevé, conduit dans une champignonnière des environs de la forêt de Senlis et mis à nu.
Mesrine lui tire une balle dans la joue “pour qu’il ne dise plus de conneries”, une dans le bras “pour qu’il n’écrive plus de conneries” et enfin une dans la jambe “par simple plaisir”.
Mesrine fait lui-même les photos et laisse Tillier pour mort.
Moins de deux mois plus tard, l’ennemi public numéro un sera abattu par la police Porte de Clignancourt.

Mesrine n’avait-il pas dit au commissaire Robert Broussard :

” Quand nous nous rencontrerons à nouveau, ce sera à celui qui tirera le premier.”

Le commissaire Broussard devant le corps de Mesrine

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