La France a peur !

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Le décès de Robert Badinter nous a rappelé que l’abolition de la peine de mort en France datait désormais de plus de 40 ans. Alors que la peine capitale est encore en vigueur dans de nombreux pays aujourd’hui, a-t-on vraiment conscience du nombre de décennies qui ont été nécessaires pour que le pays des droits de l’homme mette fin à ces pratiques d’une autre époque ?

> La guillotine comme symbole d’une abolition programmée

Lorsque le Docteur Joseph Ignace Guillotin, après avoir fait les essais de sa nouvelle machine au no 9 de la cour du Commerce-Saint-André sur des moutons, présente le10 octobre 1789 son projet de réforme du droit pénal devant la toute nouvelle assemblée nationale constituante dont il est aussi député et secrétaire, il présente la “guillotine” comme une garantie d’égalité et d’humanité.
Mais aussi comme une étape qui devait, selon lui, ouvrir la porte à “un futur où la peine capitale serait finalement abolie.

« Avec ma machine, je vous fais sauter la tête en un clin d’œil, et vous ne souffrez point. La mécanique tombe comme la foudre, la tête vole, le sang jaillit, l’homme n’est plus.”

Robespierre guillotinant le bourreau après avoir fait guillotiner tous les Français, Hercy 1794

A l’époque, un condamné à mort subit une peine différente selon son crime mais aussi selon son statut social. Le commun des mortels est pendu, le faux monnayeur ébouillanté. L’hérétique est brûlé sur le bûcher. Seuls les nobles ont le privilège d’une mort plus douce. Leur rang social leur fait bénéficier d’une mort plus rapide, la tête tranchée.
Pour un régicide, le condamné subit d’abord la torture de la roue, puis il est écartelé par 4 chevaux.
La guillotine va ainsi apporter égalité et rapidité.

> “La peine de mort est immorale”

Et oui, nous sommes sous la Révolution qui verra tomber 17.000 têtes et pourtant c’est par ces mots que le député de la noblesse, Louis-Michel Lepeletier de Saint-Fargeau, présente le 23 mai 1791 son projet visant le remplacement de la peine de mort par une peine de travaux à perpétuité.

“Evidemment la peine de mort opère un grand mal pour les mœurs publiques, et n’a aucune efficacité pour arrêter le crime. C’est un remède violent, qui, sans guérir la maladie, altère et énerve les organes du corps politique.
… Mais si la peine de mort, ainsi tempérée, perd toute l’efficacité que l’ancien code pénal trouvait dans son atrocité même, cette peine, tout insuffisante qu’elle soit pour l’exemple, n’en perd rien de son immoralité ni de son influence néfaste sur les mœurs publiques. Dans un pays libre, toutes institutions doivent porter dans le cœur du citoyen l’énergie et le mépris de la mort.”

Portrait de Louis-Michel Le Peletier de Saint Fargeau (1760-1793), conventionnel, “martyr de la Liberté”

Il y fustige ainsi ceux qui viennent assister à l’exécution comme au spectacle.

“Considérez cette foule immense que l’espoir d’une exécution appelle sur la place publique ; quel est le sentiment qui l’y conduit ? Est-ce le désir de contempler la vengeance de la loi, et en voyant tomber sa victime, de se pénétrer d’une religieuse horreur pour le crime ? Le bon citoyen est-il meilleur ce jour-là en regagnant sa demeure ? L’homme pervers abjure-t-il le complot qu’il méditait ?… Non, Messieurs, ce n’est pas à un exemple, c’est à un spectacle que tout ce peuple accourt. Une curiosité cruelle l’y invite.”

Pour mémoire, il faudra attendre le décret du 24 juin 1939 du gouvernement d’Edouard Daladier qui interdira que les condamnés à mort soient exécutés en place publique, peu après la décapitation d’Eugène Weidmann à à Versailles.
Quant aux condamnés exécutés de 1792 à 1977 (Hamida Djandoubi sera le dernier le 10 septembre 1977 alors que le Président de la République est Valéry Giscard d’Estaing), une base de données les évalue à 13.000 pendant cette période).

Lepeletier, quant à lui, n’hésitera pas à voter la condamnation à mort de Louis XVI.
Il sera assassiné la veille de la décapitation du roi par un de ses anciens gardes du corps, Pâris avec ces mots :
« – C’est toi, scélérat de Lepeletier, qui as voté la mort du roi ? »
Ce à quoi il aurait répondu : 
« – J’ai voté selon ma conscience ; et que t’importe ? ».
Pâris lui enfonce alors son épée dans le côté en lançant : 
« – Tiens, voilà pour ta récompense ».

> Le poids des médias

Certains d’entre vous se souviennent du journaliste Roger Guicquel ouvrant son édition quotidienne sur TF1 le 18 février 1976 par le célèbre “La France a peur”. Il débute son journal sur le meurtre du petit Philippe Bertrand par Patrick Henry lors de son enlèvement. Je vous invite à l’écouter dans sa version longue.

Nous touchons le pouvoir de la presse et sa capacité à rendre l’instant anxiogène.
Est-ce l’importance du tirage ou de l’audience en vue d’attirer plus de publicités qui détermine la façon dont les médias s’emparent de ces évènements ?
Probablement pour partie mais trop souvent sans la retenue qui s’impose en la matière.
Et ce n’est pas nouveau, en 1907, avec l’affaire que je vais vous raconter, la France avait déjà peur.

> L’affaire Soleilland

Nous sommes en 1906. Le Sénat et la Chambre sont saisis par le cabinet Clemenceau d’un projet de loi visant à remplacer la peine de mort par un emprisonnement à perpétuité.
Une majorité de parlementaires est acquise à l’abolition et ce projet semble en passe d’être adopté.
A un tel point que le budget voté dans l’année ne prévoit plus de lignes de finances pour les frais d’entretien de la guillotine et pour le salaire du bourreau.
C’est alors que le 31 janvier 1907, une petite fille de 11 ans, Marthe Erbelding est assassinée par un ami de ses parents, Albert Soleilland, qui était venu la chercher pour l’emmener au spectacle.
Le corps de l’enfant est retrouvé dans une consigne de la gare de l’Est.
Elle a été violée, étranglée et poignardée.
La presse se déchaîne et tout particulièrement “le Petit Parisien” qui tire à 2 millions d’exemplaires.
Le journal, détails à l’appui, trace le parcours de l’assassin transportant le corps de l’enfant dans l’autobus, dresse un plan détaillé en pages intérieures de la chambre du crime, décrit un assassin rigolant espérant renter bientôt chez lui, “lassé et dégouté des fayots de la Santé” :

“le cadavre empaqueté a été retrouvé à la Gare de l’Est. Le monstre a tout avoué”

” La fille a subi les pires tortures. Effroyables révélations de l’autopsie : Après avoir violé, mutilé et étranglé la pauvre enfant, le monstre l’a poignardée. Le cœur fut transpercé de part en part.”

L’émotion populaire qui s’exprime lors de l’enterrement de l’enfant est relayée par la presse et lors du jugement, le 23 juillet 1907, à l’annonce du verdict qui le condamne à mort, la foule applaudit.

Le Petit Parisien supplément illustré 24 février 1907

Mais, le 13 septembre, fidèle à ce qu’il a fait par le passé, le Président de la République Armand Fallières commute la peine en prison à perpétuité.
Ce qui va bien entendu déclencher la colère de l’opinion grandement relayée par la presse.
Le Petit Parisien n’hésite pas à lancer le 20 septembre un référendum dans ses colonnes “Etes vous partisans de la peine de mort ?
Le 5 novembre, le journal publie les résultats : 1.083.655 pour le Oui, 328.692 pour le Non.

Le Petit Parisien 5/11/1907 Source gallica.bnf.fr / BnF

En novembre 1908, le Parlement entame la discussion du projet dans un climat survolté.
Malgré le talent de Jean Jaurès et de Victor Hugo, fervents défenseurs de l’abolition, le projet est finalement repoussé lors du vote du 8 décembre 1908 : Pour : 210 voix, Contre : 330.
L’abolition de la peine de mort attendra.
Le Président Fallières qui avait gracié 133 condamnés à mort opèrera un revirement spectaculaire puisqu’en deux mois 7 exécutions capitales vont se succéder.

Les époques se suivent. Les moyens des médias évoluent. Mais pas les mécaniques d’influence et de manipulation du peuple qui sont toujours les mêmes.
L’Histoire se répète mais nous ne savons toujours pas en tirer les leçons.
Rappeler ces faits aura au moins le mérite de nous éclairer.

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