Nous sommes en 1900. Les “fortifs” comme on appelle communément les remparts qui entourent la Capitale rejettent à l’extérieur de Paris les pauvres comme le faisait au Moyen Age l’enceinte de Philippe Auguste.
Dans la “zone” s’entassent dans des baraques de fortune les chiffonniers et toute la populace que les travaux du baron Haussmann et la hausse des loyers qui a suivi ont marginalisés.
Si on évoque ces années comme une période de prospérité pour la Capitale avec la création du métropolitain, de la Tour Eiffel et le développement de l’ère industrielle, il ne faut oublier qu’elle a aggravé les inégalités.
> Les bandes de la “Zone”
C’est dans ce contexte d’exclusion qu’un phénomène va naître : celui des Apaches.
Certes des bandes de jeunes issues des quartiers de la zone vivent de rapines, mais les journaux vont déclencher et entretenir une peur chez les parisiens au fil de leurs articles. Les Apaches vont sous cette nouvelle appellation remplacer pêle-mêle les souteneurs et leurs “marmites“‘ (les proxénètes et leurs prostituées), les “caroubleurs” voleurs qui entraient chez vous avec de fausses clés, les “monte-en-l’air” qui passaient par les toits et les “voleurs au poivrier“, c’est à dire voleurs des ivrognes, l’eau de vie est appelée le “poivre”.
Tragique statistique que celle-ci : on compte à Paris un bistrot pour 29 hommes adultes.
Peut-être est ce la fascination ambiante existant à l’époque de l’exposition universelle de 1900 pour les Indiens des Etats d’Amérique qui poussa le secrétaire du Commissariat de Belleville à traiter un de ces jeunes délinquants d'”Apache“.
Le mot dû plaire à la bande qui dès le lendemain se baptisa ‘les Apaches de Belleville”.
La loi instituant la liberté de la presse (1881) est tout récente. Deux types de médias nouveaux se développent : les romans feuilletons, notamment le roman criminel et la presse de très grande diffusion comme le Petit Journal qui tire jusqu’à 1 million d’exemplaires. C’est l’engouement des lecteurs pour les faits divers.
Les méfaits des Apaches tombent bien à propos pour augmenter le tirage des journaux qui vont en faire leurs choux gras. Le Petit Journal, le Matin ou le Petit Parisien vont entretenir quotidiennement la psychose.
Il faut dire que la figure de l’Apache condense toutes les angoisses de la société de la Belle Epoque : un jeune sans instruction issu des milieux populaires, ouvrier, délinquant, criminel, alcoolique.
“Le club des poteaux du Père Lachaise“, “Les menus plaisirs de Charonne“, “Les Kursaals des Aminches“, tels sont quelques noms de ces bandes de jeunes de 15 à 18 ans qui sévissent à Belleville ou Ménilmontant.
Elles trouvent dans leurs actions un moyen de s’extirper de la misère qui règne dans la zone autour de Paris et de se rebeller contre cette société nouvelle industrielle. Leurs pires ennemis : Le bourgeois, le flic et le travail.
> La misère a inventé une langue de combat qui est l’argot (Victor Hugo)
C’est l’âge d’or de l’argot. On compte 12 mots d’argots pour un mot de français. Pour “prostitution” on compte plus de 300.
Les Apaches créent leurs codes et leurs règles. Les Apaches arborent des “bouzigues “, tatouages tels qu’une tête de femme dans une feuille de trèfle pour le proxénète. N’envoie-t-il pas son cheptel faire le “ruban” (le trottoir) pour que ses “marmites” lui ramènent un peu de “braise” (argent) ?
Ils portent le galurin ou une casquette trois ponts en soie noire qui peut aller jusqu’à 50 cm, un foulard qui sert d’ailleurs à étrangler le bourgeois pendant qu’un complice lui fait les poches, un pantalon pattes d’éléphant du tailleur Auguste Bénard, des bottines de couleur jaune moutarde. Les bandes se bagarrent souvent entre elles mais elles se réconcilient dès l’arrivée les forces de police pour en découdre avec eux.
“L’apache est la plaie de Paris, 30.000 rodeurs contre 8.000 sergents de ville” titrent les journaux. Quotidiennement ils relatent des faits souvent invérifiables. En 1907, la police se dotera des premiers chiens policiers pour chasser les Apaches. La presse conseillera même le recours au fouet pour corriger ces délinquants à l’instar de ce qui se pratique à Londres.
> Casque d’Or
Le film “Casque d’Or” avec Simone Signoret et Serge Reggiani a trahi allègrement l’histoire d’Amélie Elie, cette prostituée surnommée ainsi à cause de sa chevelure blonde. Elle est prise sous la coupe de Joseph Pleigneur dit “Manda” mais se sentant délaissée elle s’éprend de François Leca, un autre chef de bande. Manda réapparait et assène un coup de couteau à Leca. La guerre est déclarée entre les deux bandes et une bataille rangée a lieu la semaine suivante lors de laquelle Leca reçoit deux balles de révolver. A sa sortie de l’hôpital la bande de Manda lui porte 3 nouveaux coups de couteaux.
La presse se fait les gorges chaudes de l’affaire. Arthur Dupin, dans le Petit Journal, écrit : « Ce sont là des mœurs d’Apaches, du Far West, indignes de notre civilisation. Pendant une demi-heure, en plein Paris, en plein après-midi, deux bandes rivales se sont battues pour une fille des fortifs, une blonde au haut chignon, coiffée à la chien ! ».
Leca et Manda seront finalement arrêtés, jugés lors d’un procès très médiatisé en 1902 et condamnés au bagne. Leca s’en évadera en 1916 et disparaitra, Manda sera libéré en 1922 et restera en Guyane jusqu’à la fin de sa vie.
Quant aux membres des bandes Apaches, nombreux disparaitront durant la guerre de 1914.
Amélie Elie épousera un tailleur et sera tenancière de trois maisons closes. Questionnée par un journaliste, elle répondra “ cet établissement, je le dirige depuis sa fondation. Il y a sept ans que je suis aux Rosiers. Jamais de scandale, jamais de bruit. Ces messieurs de la préfecture pourront vous le dire… Dites bien, si vous faites un article sur moi, que je suis maintenant une bonne épouse et que je gagne honnêtement ma vie“. Elle mourra de la tuberculose à 55 ans en avril 1933.