Un hôtel dans le Marais pour bons services rendus

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Le quartier du Marais regorge d’hôtels particuliers. Tous ont une histoire et l’hôtel Beauvais qui abrite aujourd’hui la Cour administrative d’appel de Paris au 68, rue François Miron n’échappe pas à cette règle.
En 1763, l’hôtel est loué à la Bavière pour en faire son ambassade. Le comte Maximilien Franz Van Eych en est l’ambassadeur, mais il use de son droit d’extraterritorialité pour y installer …. un tripot.

> Mozart à l’hôtel Beauvais

L’hôtel Beauvais accueillit la famille Mozart (Leopold Mozart, son épouse, Anna Maria et leurs enfants doués en musique Maria Anna et Wolfgang Amadeus) lors de sa “tournée européenne” en novembre 1763.
Wolfgang a 7 ans et demi.
Le journal Le Temps, publie un article sur Mozart à Paris :

” Celui-ci nourrissait toute la famille : c’était, en effet, un phénomène ; il jouait du clavecin comme doivent en jouer les anges, transposait, improvisait, composait des ariettes et des sonates exquises, et quand son papa, pour le faire valoir, couvrait le clavier d’une serviette, cela n’empêchait pas le petit prodige de lire à première vue ou d’exécuter de mémoire, sans une fausse note, les morceaux les plus ardus.
Il se nommait Wolfgang Mozart, et cela dit tout, car on pense bien que ce n’est pas ici le lieu de refaire l’histoire si souvent contée de celui pour lequel avait dû être créée l’appellation d’«Enfant du miracle».
Nul n’a plus rien à apprendre sur ses séances à la cour, ses succès à Versailles chez Mesdames de France, son enthousiasme à la chapelle royale lorsqu’il entendit, au cours de la messe de minuit, les hautbois et les violons de Sa Majesté jouer les vieux noëls français, son sans-gêne au grand couvert où la reine le bourra de friandises et sa réception chez Mme de Pompadour qui le lit monter sur une table afin de l’examiner de plus près ; comme l’enfant tendait la joue, croyant qu’elle allait y déposer un baiser, et que la favorite ne daigna pas répondre à cette avance, le petit musicien, se souvenant de l’accueil qu’il avait reçu, à Vienne, de la grande Marie-Thérèse, s’écria, indigné :
” Qu’est-ce que c’est que cette femme là qui ne veut pas m’embrasser ? L’impératrice elle-même m’a embrassé.”
Par bonheur, il dit cela en allemand, sans quoi peut-être aurait-il connu les douceurs de la Bastille et serait-il aujourd’hui célèbre, non comme dieu de la musique, mais comme collègue de Latude que la rancunière marquise y avait fait enfermer pour moins que cela.

Les Mozart sont logés au second étage de l’hôtel de novembre 1763 à avril 1764. La femme de l’ambassadeur a fait transporter son clavecin dans la chambre des Mozart.
Le jeune prodigue au corps malingre et qu’on doit surélever avec des coussins pour qu’il atteigne le clavier du clavecin fera le tour des salons parisiens, tel un chien savant.

Mozart enfant par Louis Carrogis Carmontelle

> L’origine de l’Hôtel de Beauvais

Un siècle plus tôt, c’est Antoine Le Pautre, premier architecte du roi Louis XIV qui a la charge de construire cet hôtel pour Catherine Bellier, épouse de Pierre de Beauvais.

Des sculptures en tête de bélier rappellent le nom de jeune fille de la propriétaire

Mais pour quels services rendus peut-on recevoir ainsi un château ainsi qu’une pension de 2 000 livres ?
En voici l’histoire :
Catherine Bellier est une fille d’un commerçant du Poitou. En 1634, elle épouse Pierre Beauvais et entre à la Cour comme femme de chambre de la reine Anne d’Autriche. Chaque matin, elle lui pratique des lavements, ce qui rend les deux femmes intimes. Elle devient sa condidente.
Son époux, Louis XIII est décédé le 14 mai 1643. Selon la tradition, Anne d’Autriche est nommée régente du royaume le 18 mai 1643 car son fils Louis Dieudonné n’a que 5 ans au décès de son père.
Louis XIII et Anne d’Autriche ont à peine quatorze ans l’un et l’autre lors qu’ils ont été mariés. 
Fille aînée du roi d’Espagne Philippe III de Habsbourg et de Marguerite d’Autriche, la mariée est une infante d’Espagne, bien que son nom fasse référence à l’Autriche, la région d’origine de sa famille.
Les nouveaux mariés vivent une nuit de noces sans intimité et le roi Louis XIII va en conserver une répulsion durable pour son épouse. Celle-ci devra attendre 23 années pour que la lignée se perpétue avec la naissance du futur Louis XIV.
Anne d’Autriche est tellement marquée par le peu d’intérêt que son époux lui portait qu’elle trouve que le jeune Louis Dieudonné ne s’intéresse que peu aux jeunes filles qui l’entourent.
C’est alors qu’elle va demander à sa servante de faire découvrir au futur roi les joies de la gaudriole.
Il faut dire que Catherine Bellier n’est pas très avantagée par son physique. Ne la surnomme-t-on pas Cateau la Borgnesse ? Elle n’était peut-être pas borgne mais atteinte d’une divergence prononcée à l’œil.

Un des mascarons de la cour d’honneur de l’hôtel de Beauvais ; il serait le portrait de Catherine Bellier.

Anne d’Autriche se dit qu’au moins son fils ne s’attachera pas à elle. Elle veut simplement s’assurer que son fils est « propre au mariage ».
La servante va probablement exceller dans l’exercice de sa mission. Saint-Simon, dans ses “Mémoires” la décrit ainsi :

« créature de beaucoup d’esprit, d’une grande intrigue, fort audacieuse, qui eut le grappin sur la reine mère, et qui était plus que galante… On lui attribue la première d’avoir déniaisé le roi à son profit ».

Le futur roi a 14 ans.
Chroniqueur à la Cour, Primi Visconti raconte l’anecdote dans un ouvrage : 

« Tout affreuse qu’elle était, le prince étant fort jeunel’ayant trouvé seul à l’écart dans le Louvre, elle le viola, ou du moins le surprit, de sorte qu’elle obtint ce qu’elle désirait ».

Catherine Bellier rend compte de son travail à Anne d’Autriche et lui dit : « Rassurez- vous ça se passe très bien et vous aurez très certainement de nombreux petits enfants !“.
Le jeune garçon dût aimer cette initiation à la bagatelle car il la fréquenta régulièrement jusqu’à ses 16 ans. Il prit ensuite de nombreuses maitresses.
La servante est donc gratifiée du fameux hôtel et d’une pension.
Son mari, probablement pour avoir su fermer les yeux sur cet adultère royal, fut nommé baron. Catherine-Henriette Bellier devint ainsi baronne.
C’est depuis le balcon de sa nouvelle résidence qu’elle assista, en compagnie de la Reine-Mère, du cardinal Mazarin et du maréchal de Turenne, à l’entrée de Louis XIV et de sa jeune épouse dans la capitale le 26 août 1660.
Toute borgne et laide, Catherine Bellier eut de nombreux amants dont Monseigneur Octave de Saint Lary de Bellegarde, archevêque de Sens.
La nouvelle baronne mène grand train et à la mort de son époux en 1674, elle se retrouvera submergée de dettes.
Son âge avancé la contraint à se retirer de la cour où elle vient cependant, étant toujours bien accueillie par le roi, encore comme le souligne Saint-Simon, dans ses “Mémoires” :

« Je l’ai encore vue vieille, chassieuse et borgnesse, à la toilette de Mme la dauphine de Bavière où toute la cour lui faisait merveilles, parce que de temps en temps elle venait à Versailles, où elle causait toujours avec le roi en particulier, qui avait conservé beaucoup de considération pour elle. »





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