Le 8 août 1570, le traité de paix de Saint-Germain-en-Laye met fin à trois années de terribles guerres civiles entre catholiques et protestants.
Pour concrétiser cette paix entre les deux partis religieux, Catherine de Médicis projette de marier sa fille Marguerite de Valois avec le prince protestant Henri de Navarre, futur Henri IV.
Baptisé catholique, le futur roi s’est pourtant converti au protestantisme qu’il va ensuite renier.
Prêt à tout pour diriger le royaume, c’est ainsi qu’il abjure le protestantisme lors d’une cérémonie religieuse à la basilique de Saint-Denis le 25 juillet 1593 pour se convertir au catholicisme.
Il prononce alors la phrase célèbre : « Paris vaut bien une messe » !
Mais là, nous sommes en août 1572 et les préparatifs du mariage vont bon train.
Les festivités vont attirer à la capitale de nombreux protestants qui veulent célébrer cette noce qu’ils vivent comme un symbole de réconciliation.
Mais nous savons qu’il va surtout constituer l’un des événements les plus tragiques de l’histoire du pays et de l’Europe moderne.
Les tensions entre catholiques et protestants, exacerbées par les guerres de religion qui ravageaient la France depuis des décennies, se traduisaient par un climat de méfiance et de violence généralisée.
Et, c’est l’assassinat de l’amiral protestant Gaspard de Coligny le 22 août, chef militaire respecté et figure importante du protestantisme français, sur ordre de certains membres du pouvoir catholique, qui va être le prétexte à une vague de violences contre les protestants à Paris et se propager rapidement à d’autres villes de France.
De nombreux livres ont été écrits sur ces massacres de la Saint-Barthélemy qui demeurent un symbole tragique de l’intolérance et de la violence religieuse de l’époque, mais il en est un qui mérite particulièrement le détour par l’originalité de son approche.
C’est celui de Jérémie Foa intitulé “Tous ceux qui tombent” aux éditions “La découverte“.
Il se propose de retracer 25 histoires vécues par des parisiens pendant ces évènements.
Son originalité est que son auteur a reconstitué ces épisodes à partir d’archives des notaires, ceux-ci dressant des inventaires après décès, enregistrant les actes et réglant les héritages. Il a aussi puisé dans les archives nationales qui conservent les jugements de l’époque.
Grâce à ces textes, il a retrouvé les victimes et les tueurs, exhumant les indices de ces massacres de proximité commis aussi par des voisins sur leurs voisins.
Nous tirons de ce livre l’histoire qui suit.
> La Seine, personnage central des massacres
Claude Puget est un provincial qui, lui aussi, est monté à la capitale pour profiter des fêtes autour du mariage.
Curieux, croyants et marchands ont envahi les rues de Paris, et lorsque les massacres débutent, une fois la surprise passée, il observe de son logis les violences et les pillages envers les protestants.
Lui, il se sait en sécurité. Il est catholique.
Peut-être se réjouit-il de ces tueries ?
Il n’hésite donc pas à sortir dans la rue mais constate effaré que des meutes d’individus déchaînés entrent dans les maisons, jettent leurs locataires par les fenêtres aux cris de “A mort, à mort ! ” ou les poussent dans la rue rejoignant de macabres processions.
Tout à coup, un homme le pointe du doigt en criant “au huguenot !“.
La foule se jette alors sur le lui, le déshabille immédiatement et le pousse en direction de la Seine. Le voilà pris dans le flot des protestants, nus eux aussi. Il a beau dire qu’il est catholique, personne ne le croit. Il n’est sûrement pas le seul à utiliser ce type de ruse.
Ne l’a-t-on pas dénoncé ?
Celui qui l’a fait est un cuisinier.
On ne saura pas son nom, sauf qu’il était au service d’Arnaud de Cavaignes, célèbre huguenot proche de Coligny qui sera d’ailleurs pendu le 27 octobre 1572, à la lueur des torches après avoir été reconnu complice des projets de Coligny et déclaré criminel de lèse-majesté.
Il suit Puget dans cette procession en direction du fleuve pour s’assurer qu’il n’en réchappera pas.
Le “peuple” conduit ces hommes à la mort selon un rituel qui semble bien établi. La Seine va laver Paris de ses fautes et entrainer au loin ses péchés.
Le rite se lit dans les détails : Puget est nu car comme pour le Jugement Dernier, les victimes doivent se présenter devant Dieu dépouillées de leurs artifices.
La foule se dirige vers le Pont aux Moulins, rejoignant d’autres processions qui viennent de tous les quartiers de la capitale. Ce pont présente l’avantage d’être le dernier dans le sens du courant, l’eau boueuse de la Seine faisant sous ses arches d’énormes tourbillons qui ne laissent aucune chance aux hommes et aux femmes jetés dans le fleuve.
Dans son livre “Les enfants bourreaux au temps des guerres de Religion“, Denis Crouzet explique que le fracas des corps qui tombent dans l’eau mime la chute des âmes en Enfer :
“Chaque huguenot tué le sera par un rituel qui, bien souvent, sera celui du jugement divin l’entrainant vers la rivière, vers cette eau boueuse et profonde qui, dans le système du temps, introduit à l’enfer qui a été prédit accueillir pour l’éternité les réprouvés.”
> Le hasard ou la chance ?
Mais si c’est “le peuple” qui pousse à la rivière les condamnés sans jugement, c’est la milice qui décide, oriente et aiguillonne le massacre.
Pourquoi et comment ce capitaine dont on ignorera le nom a-t-il demandé qu’on libère Claude Puget ?
Nous ne le saurons jamais.
En tout cas, il en a l’autorité.
Toujours est-il que notre faux huguenot désigne son accusateur qui est aussitôt arrêté et questionné.
Celui qui l’interroge est Jean Tanchou.
Si l’homme excelle comme serviteur du roi, il a aussi la fâcheuse habitude de ne pas toujours restituer l’intégralité de leurs biens aux prisonniers.
Probablement expert dans l’art des interrogatoires, il finit par apprendre que le cuisinier – en quelque sorte tueur à gages – était en fait investi d’une mission : faire disparaître notre provincial pour le compte d’Antoine Astorg de Montbartier. Ce dernier est accusé par Puget d’avoir tué son père, Jehan Puget, marchand à Toulouse, et est en attente de son procès à la Conciergerie.
De tout cela, il reste un jugement du 6 septembre 1572 dans les archives du Parlement Criminel de Paris (conservé aux Archives Nationales).
Si on imagine l’horreur de cette gigantesque tuerie des protestants au nom de la religion, cette histoire nous laisse imaginer le nombre de règlements de compte qui ont eu lieu pendant ces quelques jours.
Alors qu’au départ la consigne était seulement d’éliminer les principaux chefs protestants, les parisiens vont croire à un soulèvement des protestants contre les catholiques.
Exaltés par le son du tocsin de la cloche de l’église Saint-Germain-l’Auxerrois, proche du Louvre, la nuit se transformera en massacre généralisé de tous les protestants, sans considération d’âge, de sexe ou de rang social, d’abord aux abords du Louvre puis dans tous les quartiers de Paris.
La Seine rougit du sang des innombrables victimes.
De nombreux corps s’échouent et sont ensevelis pêle-mêle sur les rives au niveau de la colline de Chaillot. On retrouvera des ossements en creusant les fondations de la tour Eiffel.
Les estimations du nombre de victimes varient, mais il est généralement admis que plus de 4.000 protestants ont été tués à Paris et dans toute la France au cours des semaines qui ont suivi.