L’homme qui vendit 2 fois la Tour Eiffel

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Rien n’est trop audacieux pour un arnaqueur de métier. L’homme que nous allons découvrir étonne encore de nos jours par l’intelligence de ses coups, par son audace et ses capacités à dégoter le bon pigeon qu’il se faisait un malin plaisir de détrousser.
On pourrait même le qualifier de Robin des Bois de la Belle Epoque car ses victimes appartenaient à la bourgeoisie des affaires avec une prédilection évidente pour les banquiers.
Il ira même jusqu’à arnaquer Al Capone. Il fallait oser. Nous y reviendrons.

> Une origine bourgeoise

Notre escroc en puissance se nomme Victor Lustig. Il nait dans le Royaume de Bohème en Autriche-Hongrie le 4 janvier 1890 dans une famille bourgeoise et va bénéficier d’une bonne éducation qui lui permettra à 19 ans de parler cinq langues.
D’une querelle pour une femme, il gardera une cicatrice de l’œil à l’oreille gauche qui lui vaudra le surnom “Le Sabré”.
Si Victor Lustig est doué pour les langues, très intelligent et plein d’imagination, il nourrit surtout une aversion pour le travail et préfère s’adonner au jeu. Le voilà, tout jeune, à Paris soi-disant pour ses études mais il fréquente plutôt les voyous, les tripots où il joue au billard, au bridge et au poker. Il devient même un temps proxénète.

> 7 ans en mer

Puis, il décide d’aller à New-York en bateau, et comme le voyage en mer dure 15 jours, il pense faire des rencontres intéressantes parmi les voyageurs fortunés.
Pendant le trajet, très habille aux jeux de cartes, et fin manipulateur, il plume plusieurs voyageurs, se remplissant les poches très facilement.
A peine arrivé à New-York, il reprend le bateau dans l’autre sens. Il y a 25 navettes par an, et Victor Lustig mènera son petit manège lucratif pendant 7 années. Il faut dire qu’il présente bien et parle plusieurs langues. Les journées sont longues à bord et les passagers de première classe représentent une proie facile pour le jeune Victor.
Mais le début de la guerre de 1914 l’oblige à revenir à terre.
Il s’installe à New-York, les routes des transatlantiques n’étant plus sûres. Il y perfectionne ses arnaques dans l’immobilier et plusieurs autres affaires qui le conduiront à goûter un temps au charme des prisons américaines.
A sa libération, il poursuit ses méfaits et amasse des sommes rondelettes en arnaquant des banquiers lors de ventes immobilières et des paris sur des courses.

> Oser arnaquer Al Capone

C ‘est alors qu’il demande à rencontrer Al Capone.
Notre homme se fait désormais appeler Comte Victor Lustig . Al Capone est d’abord amusé par ce jeune dandy qui se présente à lui et parle un anglais impeccable.
Notre arnaqueur propose à Al Capone un placement boursier. Il peut l’inclure dans un programme d’investissement sur 60 jours qui lui rapportera 2 fois la mise de départ.
Al Capone est bluffé par le jeune homme. Il le met néanmoins en garde, lui rappelant comment ont fini ceux qui voulaient le flouer.
Conquis par le discours, Al Capone confie ainsi 50.000 dollars à Victor.

Al Capone

60 jours plus tard, Victor Lustig est à nouveau dans le bureau d’Al Capone mais il lui annonce que son investissement n’a pas donné le résultat attendu.
Al Capone entre dans une colère noire. Mais avant que le fameux gangster ne prononce certainement ce qui allait être une sentence fatale, Victor lui dit “Ne paniquez pas, j’ai réussi à sauver votre mise initiale“. Et simultanément, il sort de sa poche des liasses de billets qu’il pose sur le bureau. Et Capone de lui répondre : “Vous êtes bien l’homme le plus honnête que j’ai rencontré, et cela mérite bien une petite récompense !”. Il prélève une liasse de billets sur le bureau qu’il donne à Victor.

> La vente de la Tour Eiffel

Victor Lustig amasse avec ses arnaques des sommes importantes. Il viendra les dépenser à Paris où il se rend avec un de ses complices, Dan Collins qui parle un français excellent.
Mais dans ce Paris des Années Folles, leur argent fond comme neige au soleil. Il est désormais nécessaire de monter une nouvelle arnaque pour se renflouer.

Le 8 mai 1925, alors que les deux compères sont attablés à une terrasse de café, Victor Lustig est attiré par un petit article dans la gazette du jour dans lequel le journaliste se lamente sur le montant des frais d’entretien de la Tour Eiffel qui est en train de rouiller sur pied. Ne faudrait il pas s’en débarrasser ? C’était d’ailleurs ce qui était prévu à l’origine. La Tour ne devait elle pas être démontée à la fin de l’Exposition Universelle ?
Gustave Eiffel l’a sauvée de la démolition en installant de puissantes antennes sur son sommet. C’est d’ailleurs le Secrétariat d’Etat aux Postes, Télégraphes et Téléphones qui en assure l’entretien.
Victor réfléchit un instant et se tourne vers son complice. Il lui dit ‘Dan, je crois que j’ai une idée dont on risque de parler pendant des années !”.


Ayant des relations avec des faussaires, Victor Lustig fait réaliser du papier à l’entête du Secrétariat d’Etat et des cartes tricolores. L’homme – plutôt le Comte Victor Lustig – devient sous secrétaire d’Etat, et Dan Collins Directeur de Cabinet.
Sur son papier à en tête tout neuf, il adresse un pli confidentiel aux 5 plus gros ferrailleurs français, les conviant à une réunion secrète à l’hôtel de Crillon. Les deux hommes, pour augmenter leur crédibilité, louent 5 limousines qui serviront à convoyer les ferrailleurs.
La réunion a lieu comme prévu à l’hôtel de Crillon. Ce n’est pas tous les jours que les ferrailleurs sont conviés par l’Etat français. Ils s’y présentent tous.
Le sous secrétaire d’état les informe alors que l’Etat, face aux coûts exorbitants d’entretien, souhaite démonter la Tour et vendre au plus offrant les 7.300 tonnes de fer de sa structure. Il leur montre les coupures de presse et leur précise que seul le Président, le Ministre en charge du secteur, les sous- secrétaires d’Etat et le Directeur du Cabinet sont au courant et qu’il convient d’être très discret sur ce dossier car il est clair que lorsque l’affaire sera dévoilée, il y aura des réactions hostiles des parisiens. Il compte donc sur leur totale discrétion.
Les soumissions devront se faire très rapidement, permettant une prise de décision immédiate. Pour les convaincre, Victor Lustig leur propose même de se rendre à la Tour Eiffel, ce qu’ils font immédiatement en limousine.
En arrivant à la Tour, avec une audace invraisemblable, Victor Lustig double tous les touristes, présente sa carte tricolore au planton en disant “Ces Messieurs sont avec moi !“.
L’arnaque fonctionne à merveille mais ce que cherche Victor, c’est déceler parmi les 5 ferrailleurs celui qui fera le meilleur pigeon.
A l’issue de la visite, en fin psychologue, il a trouvé : ce sera André Poisson. Ce ferrailleur n’a pas confiance en lui et il pense que remporter ce marché serait une aubaine pour faire fortune.
Le lendemain, Victor se présente au domicile du ferrailleur. Visiblement c’est sa femme qui tient les cordons de la bourse et il décide alors de jouer le fonctionnaire véreux. Il se plaint de son salaire de misère et avoue à Poisson qu’avec une petite commission, il pourrait lui allouer directement le marché même s’il n’est pas forcément le mieux disant. André Poisson lui glisse sans hésiter un instant une liasse de billets.
Les offres sont déposées au Crillon quelques jours plus tard et comme convenu, Victor Lustig annonce à Poisson qu’il a été choisi et qu’il doit déposer la moitié de la somme de la soumission 4 jours plus tard. Ce qui est fait. André Poisson repart aves des titres de propriété et Victor avec son chèque. Les chèques étant à l’époque au porteur, Victor encaisse l’argent et s’enfuit avec son complice en Autriche.
On imagine la tête du ferrailleur quand il se présente au ministère pour connaitre la date de la démolition.
Mais là où Lustig a été le plus malin, c’est d’avoir contraint Poisson à le soudoyer pour obtenir le marché car le ferrailleur ne portera pas plainte pour l’escroquerie dont il a été victime.

Lustig recommence la même opération quelque temps plus tard. Il vend ainsi une seconde fois la Tour Eiffel mais cette fois la victime flaire l’arnaque et porte plainte avant de déposer l’argent. Nos deux malfrats échappent néanmoins à la police et s’enfuient à nouveau, cette fois pour les Etats Unis.

> Reconversion dans la fausse monnaie

Victor Lustig continuera ses malversations en Amérique mais cette fois dans la fausse monnaie dont il inondera les Etats Unis.

A un tel point qu’une commission spéciale sera crée en 1934. Il finit par être arrêté, jugé, condamné et enfermé à la prison d’Alcatraz.
Il y retrouvera Al Capone qui, ayant toujours beaucoup d’estime à son égard, assurera sa protection.

Victor Lustig y mourut le 11 mars 1947 d’une pneumonie.

On raconte que dans sa cellule était affichée une carte postale de la Tour Eiffel barrée de la mention “Vendue“.



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