Pouvez-vous me citer quelques anthroponymes ?
Dans la langue française c’est ainsi que l’on désigne les noms propres qui passent dans le langage courant en devenant des noms communs. Vous pensez immédiatement à Parmentier et son fameux hachis ou à Louis Béchameil et sa fameuse sauce blanche. D’autres vont sont moins connus comme Sir John Montagu, comte de Sandwich ou John Loudon McAdam, cet écossais inventeur du revêtement qui a révolutionné nos routes.
L’homme qui nous intéresse aujourd’hui est Eugène Poubelle. Il vient d’être nommé préfet de la Seine. Nous sommes en octobre 1883. La tâche est compliquée car la fonction de maire de Paris a été abolie et le Préfet est en charge de l’administration courante de la capitale.
La loi sur la liberté de la presse a été votée deux ans auparavant et lorsque Eugène Poubelle, soucieux de la propreté de Paris prend deux décrets obligeant les propriétaires d’immeubles à mettre à disposition des locataires des récipients pour y déposer leurs déchets, la presse se déchaîne.
Le spectre d’une catastrophe est brandi. Aurélien Scholl dans le Courrier de Paris, le 23 janvier 1884, prétend que les rats, privés de nourriture, monteront dans les étages et s’attaqueront à la population .
Ces décrets sont très précis. Ils fixent les dimensions et contenances des dites boîtes, ce qui facilitera ainsi leur déversement dans les tombereaux de collecte. Les récipients devront porter le nom du propriétaire et l’adresse de l’immeuble. Les déchets ne seront plus déposés dans la rue mais dans ces récipients que les concierges descendront à des heures règlementées. Le concierge devra tenir l’endroit propre sous peine de procès verbal.
Précurseur, le préfet invente même le tri sélectif : une boîte est prévue pour les déchets coupants tels que coquilles d’huitres ou verre pour ne pas blesser les boueux, une pour les papiers et les chiffons, une troisième pour le reste des déchets. Les chiffonniers ont interdiction de renverser les ordures sur la voie publique.
Immédiatement c’est un tollé général. Le Préfet n’avait prévenu personne et les fameuses boîtes étant déjà en vente le jour de la parution des décrets, on accuse le gouvernement de toucher une commission sur la vente des containers.
Que ce soit dans le Charivari ou le Journal amusant, les caricatures assassinent le Préfet.
Mais le plus amusant est cette lettre ouverte d’un chiffonnier à Monsieur Poubelle parue sur un “papier” à 10 centimes “La boîte à ordures“.
En voici quelques savoureux extraits:
“Je n’ai pas mangé depuis hier. Ma femme et mes enfants se sont partagé un morceau de pain ramassé le 14 janvier, jour néfaste qui a vu la fin d’une honorable carrière de chiffonnier.” … “Nous sommes 30.000 hommes, presque tous pères de famille que, d’un trait de votre plume préfectorale, vous avez jeté dans la misère la plus profonde.” … “Mesure d’hygiène me direz-vous, allons donc ! Dans beaucoup de maisons, il n’y a pas de cour, les portes de cave sont très étroites. Donc forcement, le concierge remisera la boîte à ordures dans la chambre qu’il habite.” … “Tenez, Monsieur, un exemple : Demain vous voulez manger un poulet pour votre déjeuner, votre cuisinière vous en achètera un gras et dodu, le videra vers 9 heures du matin et vous le fera rôtir. Vous le trouverez bon certainement mais votre malheureuse cuisinière sera obligée de sentir jusqu’au lendemain matin ces tripes infectes qui par de grandes chaleurs tombent si vite en putréfaction. Croyez vous que ce soit hygiénique ?”.
Le Préfet acceptera de recevoir les chiffonniers qui seront finalement autorisés à effectuer un tri avant le passage des tombereaux.
Jamais offusqué par les caricatures ou les articles de presse incendiaires, Eugène Poubelle gardera le cap.
La définition de la « poubelle » est insérée en 1890 dans le supplément du Grand Dictionnaire universel du xixe siècle.
