C’est Michel Dansel dans son livre très intéressant “le Paris des curieux” qui évoque cette plaque fixée sur une des façades de l’église Saint Eustache. Située au niveau du numéro 1 de la rue Montmartre, elle semble aujourd’hui avoir été déposée.
Nous emprunterons donc une photo au site paris ancien pour découvrir un curieux poisson renversé sur le dos. Sur le flanc des églises, nous sommes plutôt habitués à admirer des gargouilles.
Nous sommes près des Halles et cette représentation symbolise le Paris des poissonniers. A quelques mètres de cet endroit se trouvait en effet le terminus des “chasse-marée“.
Que voilà un drôle de nom ! On appelait ainsi le voiturier qui apportait en diligence à Paris le poisson de mer frais pêché sur les côtes de la Manche.
Du poisson frais transporté sans glace en charrette de Dieppe à Paris. Le moins qu’on puisse dire c’est qu’il fallait faire vite.
Déjà il faut rappeler que sans la pêche, l’Eglise n’aurait pas pu obtenir le respect des jeûnes, des abstinences et du carême prescrits plus de cent jours par an. Le négoce du poisson et son transport sur l’ensemble du royaume de France deviennent une nécessité. Sa réglementation apparaît pour la première fois dans les ordonnances de Saint Louis en l’an 1258. Le poisson sera ainsi transporté jusqu’au XIXème siècle.
Une livraison éclair en 10 heures
Les attelages de chasse-marée quittaient Dieppe vers 17 heures avant la fermeture des portes de la ville pour arriver aux Halles de Paris aux premières heures de la matinée.
Les attelages qui pouvaient peser jusqu’à 3.500 kg étaient composés de quatre ou six chevaux boulonnais attelés par paire et d’une charrette montée sur deux roues hautes. Le poisson (hareng ou maquereau) était placé dans des paniers aux dimensions règlementées, enroulé dans des algues ou du foin et recouvert d’une bâche. Un commis nommé “voiturin”, allongé sur la bâche, maintenait l’équilibre dans les virages en déportant son poids vers l’intérieur. Le cocher placé à l’avant imposait un train d’enfer aux chevaux qui galopaient toute la nuit.
Les chasse-marée bénéficiaient d’une priorité absolue sur les 160 kms de cette route du poisson, un grelot accroché aux chevaux avertissait les autres charretiers ou villageois qu’ils devaient s’écarter. 5 à 6 fois sur le trajet, les chevaux étaient changés, une tour de guet permettait à un veilleur d’annoncer au son du corps l’arrivée d’un attelage afin que les valets du relais se tiennent prêts. 10 à 15 mn plus tard les attelages repartaient avec des chevaux frais.
Les accidents étaient nombreux car ces chemins n’étaient pas en très bon état, les chasse-marée se chargeant souvent de leur entretien. Ce sont plus de 5.000 attelages par an qui parcouraient cet itinéraire à bride abattue.
On raconte que le célèbre cuisinier François Vatel se serait suicidé parce qu’il attendait en vain un arrivage de poissons alors qu’il avait la responsabilité d’un repas organisé à Chantilly par le Prince de Condé pour Louis XIV le vendredi 24 avril 1671, jour maigre.
Une route du poisson empruntée pendant huit siècles
Les chasse-marée entraient dans la capitale par un chemin de Saint-Ouen qui porte le nom de Chemin des Poissonniers, puis par la porte des Poissonniers et la rue Faubourg-Poissonnière, la rue des Petits-Carreaux, la rue de Montorgueil nommée aussi le rue des Huitres.
“La nuit quand les mareyeurs dans leurs charrettes passaient sous ses fenêtres en chantant « La Marjolaine », elle s’éveillait et écoutant le bruit des roues ferrées qui, à la sortie du pays s’amortissait vite sur la terre :
— Ils y seront demain ! se disait-elle. —
Et elle les suivait dans la pensée, montant et descendant les côtes, traversant les villages, filant sur la grande
route à la clarté des étoiles. Au bout d’une distance indéterminée, il se trouvait toujours une place confuse où expirait son rêve.” G. Flaubert (Madame Bovary)
Que vous soyez randonneur ou cycliste, vous pouvez emprunter cette route du poisson fréquentée pendant plus de 800 ans par les chasse-marée. Le chemin de grande randonnée le GR 210 le décrit.
En 1853 est inaugurée la première ligne de chemin de fer Dieppe Paris. Il ne faut que 4 heures pour aller de Dieppe à Paris. Le train de marée a détrôné le chasse-marée. Mais cela est une autre histoire que je vous conte ici.