Nous sommes en 1843, au premier étage de l’établissement des Bains de Sainte Catherine mitoyen avec la Prison de la Force. Le chauffeur de chaudière a bien entendu des bruits sourds ces dernières nuits mais comme il sait que des travaux de vidange des fosses ont lieu à la prison , il n’en a parlé à personne.
Il est occupé sur l’appareil à ébullition quand un grand bruit retentit au rez-de-chaussée. Un calorifère vient de tomber brutalement sur le sol. L’homme descend en hâte et se trouve nez à nez avec un individu de grande taille qui vient de s’extraire d’une ouverture dans le plancher, là où se trouvait le calorifère.
“ – Tais-toi ou tu es mort ! Nous sommes des malheureux prisonniers de la Force. Nous ne voulons faire de mal à personne mais il faut que nous nous évadions… Ainsi donc, silence !“
Mais déjà plus de 10 individus se sont hissés dans la pièce lorsque le chauffeur, tirant la porte derrière lui, s’enfuit dans le jardin en criant “- Au secours, au voleur”.
Ils sont bientôt 15 qui s’élancent dans la rue Culture-Sainte-Christine, se croyant sauvés mais ils se trouvent brutalement face à face avec des habitants du quartier attirés par le bruit.
Le sieur Pons dont la maison est face à l’établissement des Bains est le premier à se mettre en travers des fugitifs. Il saisit à bras le corps celui qui semble être le chef de bande et le renverse mais les voisins qui accourent se rendent vite compte aux traces de sang sur ses vêtements que les fuyards ne reculeront devant rien pour réussir leur évasion. Les fugitifs sont armés de couteaux et de poinçons. Ils viennent de “La Fosse aux Lions”, un quartier de la prison où s’entassent meurtriers et assassins dangereux. Un sieur dénommé Morel n’hésite pas à se jeter sur un fuyard doté d’une force herculéenne mais qui sera maitrisé avant d’avoir fait usage de son couteau. L’homme qui a blessé le sieur Pons est reconduit à la Force. Il ne semble montrer aucun regret et parade de son nouveau crime : “Un de plus ou un de moins, je ne devrai pas moins aller à la barrière Saint Jacques !” (lieu où on érige la guillotine).
Quatre prisonniers seulement ont réussi à s’échapper. Les autres sont ramenés à la Prison et interrogés.
L’expédition a été murie de longue date. Parvenus à détourner une conduite d’eau, les prisonniers avaient inondé la fosse d’aisance, ce qui avait nécessité sa vidange. La fosse vide était restée ouverte permettant de creuser un souterrain sous le chemin de ronde en direction de la maison des bains. Mais au lieu de tomber dans le jardin, les fuyards avaient débouché sous le calorifère du cabinet du rez-de-chaussée.
Cette histoire inspirera-t-elle Victor Hugo dont un des personnages dans les Misérables, le père Thénardier, s’évade de la Force ?

> Une prison qui améliore les conditions des détenus
Lorsque la prison ouvre en 1780, elle est une des premières prisons à séparer hommes femmes et enfants. Avant 1770, lorsque les prévenus sont jugés dangereux, ils sont purement et simplement jetés dans des cachots insalubres jusqu’à ce que mort s’en suive. Les autres sont entassés sans distinction de sexe dans des salles sans air ni lumière. La Grande Force pour les hommes et la Petite Force pour les femmes sont un modèle : on sépare désormais les condamnés des détenus en attente de leur procès, les prisonniers peuvent déambuler dans une cour, assister à la messe dans une chapelle. Si les prisonniers sont des nécessiteux ils reçoivent une livre et demie de pain et une portion de viande et de légumes par jour. Ils dorment en dortoir dont les lits équipés de matelas, traversin et couverture sont relevés le jour. Les plus fortunés “à la pistole” peuvent obtenir un lit dans une chambre équipée de 4 lits dotée d’une cheminée.

> Mais les conditions se dégradent à la Révolution
Mais au fil des années, et notamment pendant la Terreur les conditions de détention déclineront.
Citons à nouveau Victor Hugo :
« Le Bâtiment-Neuf, qui était tout ce qu’on pouvait voir au monde de plus lézardé et de plus décrépi, était le point faible de la prison. Les murs en étaient à ce point rongés par le salpêtre qu’on avait été obligé de revêtir d’un parement de bois les voûtes des dortoirs, parce qu’il s’en détachait des pierres qui tombaient sur les prisonniers dans leurs lits. Malgré cette vétusté, on faisait la faute d’enfermer dans le Bâtiment-Neuf les accusés les plus inquiétants, d’y mettre «les fortes causes», comme on dit en langage de prison.
Le Bâtiment-Neuf contenait quatre dortoirs superposés et un comble qu’on appelait le Bel-Air. Un large tuyau de cheminée, probablement de quelque ancienne cuisine des ducs de La Force, partait du rez-de-chaussée, traversait les quatre étages, coupait en deux tous les dortoirs où il figurait une façon de pilier aplati, et allait trouer le toit. »
Deux ans après l’évasion de nos 15 détenus, la prison sera fermée.
La Grande et la petite Force étaient situées entre la rue du roi de Sicile, la rue Pavée, la rue Saint-Antoine, la rue Neuve Sainte- Catherine (aujourd’hui, rue des Francs-Bourgeois), et la rue Culture- Sainte-Catherine (aujourd’hui : rue de Sévigné).
Il subsiste un vestige de la prison : un pilier qui séparait la Grande Force et la Petite Force à l’angle de la rue Pavée et de la rue Malher. Une plaque marque l’ancienne entrée de la Grande Force au 2 rue du Roi de Sicile.
