Le collier, le mari, l’amant et la catin

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Reconstitution du collier de la Reine

Nous sommes à 5 ans de la Révolution Française et je vais vous conter une affaire qui est sans aucun doute une des plus grandes arnaques à l’Etat.
Mais présentons d’abord les deux principaux protagonistes.
Tout d’abord le Cardinal Rohan, Louis René Édouard de Rohan-Guéméné de son nom de naissance. La cinquantaine à peine, l’homme a déjà une carrière bien remplie. Il a été ambassadeur à Vienne et désormais Grand Aumônier et évêque de Strasbourg.
Le second personnage de cette histoire et non des moindres est la Comtesse de la Motte-Valois, de son nom de naissance, Jeanne de Valois-Saint-Rémy, 28 ans au moment des faits. Lointaine descendante d’un bâtard du roi Henri II, elle va atteindre ses lettres de noblesses dans notre affaire.

> Le Cardinal et la Comtesse

Nos deux protagonistes sont comme beaucoup de courtisans, ils fréquentent le palais de Versailles et cherchent à attirer attentions et faveurs du couple royal, Louis XVI et Marie-Antoinette, mais pour des raisons différentes.
La comtesse, elle, cherche à faire reconnaître son statut de descendante des Valois et obtenir une pension à ce titre.

La Comtesse de la Motte (auteur inconnu)

Le Cardinal, quant à lui, ambassadeur à Vienne en 1772, a eu le malheur de critiquer les tenues de Marie-Antoinette alors que celle-ci était auprès de sa mère. Cette dernière lui reproche son luxe et ses légèretés apparentes. La Reine lui en garde une rancœur vivace. Le Cardinal n’est donc pas, si l’on peut dire, en odeur de sainteté auprès du couple royal.

Le Cardinal de Rohan (auteur inconnu)

> Le collier de la Du Barry

Nous avons évoqué lors d’un précédent article sur la Comtesse Du Barry, combien le Roi Louis XV, amoureux fou de sa maîtresse, la comblait de cadeaux dont de nombreux bijoux.
Menant grand train, les fournisseurs en tout genre se pressaient autour d’elle, espérant une commande.
C’était notamment le cas des joailliers de la Couronne, Böhmer et Bassenge, qui avaient conçu un somptueux collier de près de 650 diamants, pesant 2 800 carats avec l’intention de le vendre à Louis XV pour sa maîtresse royale.
La fabrication du collier prit du temps et malheureusement pour les bijoutiers, la mort emporta le Roi avant que le collier puisse être présenté.

La Du Barry écartée par Louis XVI, les joailliers passablement endettés pour ce collier, proposent le bijou au nouveau couple royal.
Ils se rapprochent alors de la nouvelle Reine Marie-Antoinette et fixent le prix à 1 million 600.000 livres soit 26 millions d’euros. Mais Marie Antoinette refuse, trouvant le prix exorbitant, et le qualifie même de “harnais pour les chevaux“.
Mais Böhmer et Bassenge ne se découragent pas et reproposent le collier lors des naissances des deux enfants du couple royal. Toujours en vain. Il est hors de question pour la Reine, au delà du prix démesuré du collier, de porter une parure qui était destinée à la Comtesse Du Bary qu’elle ne portait pas dans son coeur – c’est le moins que l’on puisse dire.

> Bâtarde de Valois mais astucieuse instigatrice de l’escroquerie

La Comtesse de la Motte va alors monter un plan machiavélique.
Elle va approcher le Cardinal de Rohan qui va tomber sous son charme en lui faisant croire qu’elle est une amie proche de la Reine Marie-Antoinette.
Elle s’engage à intercéder auprès de la Reine pour qu’il retrouve sa confiance.
Entrent alors en jeu deux autres proches de la Comtesse, son mari, Nicolas de la Motte, et son amant, Louis Marc Antoine Rétaux de Villette. Ce dernier en bon faussaire, va générer une fausse correspondante entre le Cardinal et la Reine, Marie-Antoinette.
Le Cardinal mord à l’hameçon, et la Comtesse lui confie un secret. Marie-Antoinette souhaite acquérir discrètement le fameux collier.

marchandes d’amour du Palais-Royal (Claude-Louis Desrais)

Le mari de la Comtesse entre en scène. Il fréquente les arcades et les jardins du Palais Royal qui à l’époque sont un lieu de débauche pour la noblesse et les bourgeois parisiens. Il a fait la connaissance d’une dénommée  Nicole Leguay qu’il fait appeler Mlle d’Essigny ou baronne d’Oliva. Elle vend ses charmes et souhaite faire une carrière de comédienne. Mais surtout, elle ressemble à la Reine Marie-Antoinette.
Le mari de la Comtesse de la Motte lui propose de montrer ses talents à un homme influant.
Et c’est ainsi, que pour donner le change, la comtesse de la Motte informe le Cardinal que la Reine souhaite le rencontrer dans les jardins du Château de Versailles.
Le 11 août 1784, vers onze heures du soir, dans les jardins, précisément dans le Bosquet de Vénus, le Cardinal voit apparaitre une femme dont il ne découvre qu’une partie du visage, une rose à la main, qui lui murmure un « Vous savez ce que cela signifie. Vous pouvez compter que le passé sera oublié ». Prétextant l’arrivée des belles-sœurs de la Reine, la comtesse de la Motte et Rétaux de Villette en livrée de la Reine font écourter la rencontre.
Le lendemain, dans une fausse lettre, la Reine s’excusera de la brièveté de l’entretien. Le Cardinal sera conquis.

> Le piège fonctionne à merveille

Le Cardinal va alors servir de prête nom pour l’acquisition du collier. Il obtiendra un prêt de ses banquier après que la comtesse ait contacté les joailliers qui n’en croient pas leurs yeux.
Fort d’un écrit de la Reine s’engageant à acquitter les 4 versements de 400 000 livres et qui donne pleins pouvoirs au Cardinal pour réaliser la transaction, De Rohan signe le 1er février 1785, les quatre traites et se fait livrer le bijou qu’il remet immédiatement à un valet de la Reine qui n’est autre que l’amant de la Comtesse. Le collier sera démonté non sans dommage pour les perles et vendu à Londres par le mari de la Comtesse.

> La Reine ne porte pas le collier

Les bijoutiers comme le Cardinal vont s’étonner de voir que la Reine ne porte pas le collier.
La comtesse de la Motte donne comme excuse que c’est difficile pour le Reine d’en parler au Roi. Elle peinerait d’ailleurs à récolter les fonds. Le Cardinal est prié d’avancer à nouveau les fonds de la première échéance.
Mais tout va basculer lorsque les joailliers, un peu inquiets, se rendent auprès de la première femme de chambre de la Reine, Madame Campan et évoquent l’affaire avec elle.
Bien entendu, elle tombe des nues tout comme la Reine qui est tout de suite informée.
Le bijoutiers lui montrent alors le “traité d’acquisition” signé au verso par la Reine. Marie-Antoinette crie à l’imposture : le document est signé “Marie-Antoinette de France”, ce qui n’est pas l’habitude de la Reine dont la signature ne porte que la mention “Marie-Antoinette“.
Apparait aussi dans le document le nom du Cardinal de Rohan.

signature de Marie-Antoinette

Chargé par la Reine de faire la lumière sur cette affaire, le Duc de Breteuil procèdera, après une rencontre du Cardinal avec Louis XVI et la Reine, à son arrestation. Le Cardinal sera conduit à la Bastille. Il ne croupira dans un cachot mais bénéficiera d’un appartement où il pourra recevoir qui bon lui semble. Il s’est néanmoins engagé devant le Roi à rembourser les échéances restantes.
La comtesse de la Motte et la catin sont aussi arrêtées; le mari est à Londres et l’amant est déjà en Suisse.

> Le procès est confié au Parlement

On conseille au Roi de ne pas ébruiter cette affaire et d’utiliser son pouvoir royal et les lettres de cachet pour punir les protagonistes. Louis XVI en est convaincu mais Marie-Antoinette, s’estimant bafouée, refuse.
Le procès aura donc lieu sous le contrôle du Parlement. Or celui-ci est loin d’être acquis à la Royauté, bien au contraire et le procès va se retourner contre le pouvoir royal. Certains en verront les prémices de la Révolution.

Le 22 mai 1786, le procès public s’ouvre. Très rapidement, toute la presse s’en fait l’écho. Les caricatures de la Reine et du couple royal se multiplient. Le cardinal de Rohan choisit comme avocat Jean-Baptiste Target dont la plaidoirie retentissante le rendra célèbre.
Le peuple se déchaine : la Reine a sûrement acheté le collier, le cardinal est victime d’une machination, ect… Des manifestations de soutien au Cardinal ont lieu.

 Le 30 mai 1786, le parlement rend sont verdict : Le cardinal est acquitté aussi bien pour le vol du collier, pour l’escroquerie que pour le crime de lèse-majesté envers la Reine. La comtesse de la Motte est condamnée à la prison à perpétuité après avoir été fouettée et marquée au fer rouge sur les deux épaules du « V » de voleuse. Elle se débattra d’ailleurs tellement que le V sera gravée sur son sein. Le mari et l’amant seront condamnés par contumace et Nicole Legay, la catin, sera acquittée.

La torture de Madame de La Motte par Hippolyte de la Charlerie

> Epilogue

On ne retrouvera jamais les bijoux. Madame de la Motte réussira à s’évader de prison en juin 1787 pour se réfugier à Londres, où elle publiera ses mémoires, racontant ses fausses relations intimes avec la reine. Dans des circonstances étonnantes, elle se défenestrera de son hôtel en 1791, mourant ainsi à 35 ans.. Certaines personnes croient qu’elle fut assassinée par des royalistes mais elle tentait probablement d’échapper à des créanciers.
Le Cardinal sera élu comme député du Clergé aux Etats Généraux et s’opposera à l’abolition de la Monarchie. Il sera contraint à l’exil et rejoindra les “émigrés”. Il mourra en 1803 à Ettenheim à 68 ans.

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