Les morts s’exposent

You are currently viewing Les morts s’exposent
La morgue, estampe de Jean-Henry Marlet 1820

Si vous parlez du Châtelet à un parisien, il y a bien des chances qu’il pense à l’immense station du métro et des RER qui draine plus de 8 millions de passagers par an.
Or, là où se tient l’actuelle place du même nom se dressait une forteresse – le Grand Châtelet – construite sous Louis XV sur les bords de Seine pour protéger les deux Ponts qui menaient à l’île de la Cité.
Elle était une des plus importantes prisons de Paris. A cette époque, l’appareil photo n’existe pas et les gardiens “morguaient” les détenus à leur arrivée, c’est à dire les observaient d’un air hautain sous toutes les coutures et s’empressaient d’en noter les détails dans des registres. Ainsi, en cas d’évasion ou de récidive, il était plus aisé de reconnaître l’individu.
A quelqu’un qui vous observe avec insistance, vous ne direz plus “Tu veux ma photo ?” mais plutôt “Ne me morguez pas ainsi, mon bon !”. Ce sera certainement du plus bel effet.
En septembre1734, plus de prisonniers dans la Basse Geôle. On y déposera désormais les corps des cadavres retrouvés dans Paris en vue de leur identification. La “morgue” est née.
Charge aux bénédictines de Sainte Catherine de laver les cadavres et de les faire inhumer au cimetière des Innocents. Le Grand-Châtelet fut, après le gibet de Montfaucon, l’édifice le plus sinistre de Paris, tant par sa physionomie et sa destination que par son voisinage qui faisait de ce quartier l’endroit le plus fétide de la capitale. L’odeur des cadavres en putréfaction se mêlait à celle des boucheries de la rue de la Triperie et des étals de la rue Pierre-à-Poissons. Une ouverture dans la porte permettait de reconnaître les corps “en se pinçant le nez”. Le bruit courait dans Paris qu’il en coûtait cent et un écus pour faire cette visite à la Morgue et pour avoir le droit d’en retirer le cadavre d’une personne chérie.
En 1804, la morgue déménage dans de nouveaux locaux, quai du Marché-Neuf qui s’avèreront très vite trop exiguës. C’est le baron Haussmann qui fera construire une morgue plus “moderne”, là où se tient aujourd’hui le square de l’Ile-de-France, juste derrière Notre Dame.
Pour faciliter leur identification, 12 corps souvent nus sont exposés pendant 5 jours sur des tables inclinées en marbre noir, le tout derrière une large vitrine.
Mais ce qui devait permettre de retrouver le nom des ces pauvres inconnus va vite devenir un lieu de spectacle des plus originaux quoique morbide. Dès l’ouverture à 8h, chaque matin et jusqu’à la nuit, hommes, femmes et enfants se bousculent contre les vitres. Plus de 40.000 personnes défilent chaque jour devant ces corps dénudés. L’attraction est gratuite. Elle est même mentionnée dans les guides touristiques étrangers.

L’attraction de cette fin de XIXe siècle

Emile Zola en fait une description dans son œuvre Thérèse Raquin : « un spectacle à la portée de toutes les bourses que se paient gratuitement les passants pauvres ou riches, la porte est ouverte, entre qui veut, il y a des amateurs qui font un détour pour ne pas manquer une de ces représentations de la mort. Lorsque les dalles sont nues, les gens sortent désappointés, volés, murmurant entre leurs dents; lorsque les dalles sont bien garnies, lorsqu’il y a un bel étalage de chair humaine, les visiteurs se pressent, se donnent des émotions à bon marché, s’épouvantent, plaisantent, applaudissent ou sifflent comme au théâtre et se retirent satisfaits en déclarant que la Morgue est réussie ce jour-là ».
Mais rappelons que la fonction de cette exposition est bien de permettre la reconnaissance des corps. Ernest Cherbuliez, dans la revue des Deux Mondes, en 1891 cite ce chien qui aboya devant la dépouille de son maître, lui permettant d’avoir ainsi de justes funérailles, celui de ce provincial, monté en catastrophe à paris pour reconnaître un neveu qui ayant perdu une somme au jeu, s’était noyé. L’homme reconnut le défunt mais quelle ne fut pas sa surprise à son retour d’être accueilli par le dit neveu.
Le métier de greffier à la Morgue n’était pas de tout repos : tenir les statistiques, gérer le flux de visiteurs, remplir les registres et tenter de renseigner ces pauvres gens à la recherche d’un disparu. On assiste à des dialogues surprenants : — « Quelle forme a son nez? – Ah ! dame, je ne sais pas. — A-t-il le nez droit, aquilin ou retroussé? — Mais ce pauvre homme, monsieur, il a un nez comme tout
le monde. ».

C’est le préfet Lépine qui mettra fin à ces expositions morbides le 15 mars 1907.

Laisser un commentaire