Les lapins du Père Lachaise

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Légende ou réalité – on parlerait de fake news aujourd’hui – cette histoire savoureuse dont j’ai eu connaissance dans le Paris Fantastique de Rodolphe Troullieux fait pourtant l’objet de plusieurs pages dans la revue pour tous du 1er mars 1889 (page 353).
Nous sommes dans l’actuelle rue de la Réunion, dans le 20ème arrondissement, anciennement impasse Bouland, du nom de ce brocanteur qui a acheté péniblement quelques lopins de terre en cette fin du XIXeme siècle. Et c’est justement cet homme qui est au centre de notre histoire.

Le Père Lachaise

Il vit misérablement dans un taudis construit de bric et de broc avec sa femme Marie, chiffonnière de son état.
Son terrain est mitoyen avec le cimetière du Père Lachaise. Notre homme a une idée : pourquoi ne pas utiliser cet immense terrain voisin pour en tirer profit ?
Il se dit que quelques couples de lapereaux introduits habilement en mai transformeraient le champ du repos éternel en vaste garenne. Effectivement à l’hiver, les premiers collets posés par Bouland lui laissent penser que l’idée était certes saugrenue mais efficace. Chaque nuit même glaciale, il relève ses collets et lance par dessus le mur les lapins que sa femme Marie se dépêche de récupérer. Le quotidien des Bouland s’améliore : il livre désormais les restaurateurs du quartier. Les fossoyeurs du cimetière ont bien découverts des trous autour de quelques tombes mais les ont imputés aux rats si présents dans Paris.
Fort de sa réussite, l’homme se perfectionne. Il récupère un vieux fusil trouvé lors de ses brocantes et recueille un jeune chien dans la rue qu’il surnomme Baptiste.
En homme tout de même respectueux des règles, il patienta jusqu’à l’ouverture de la chasse. Se frottant les mains par avance, il prépara ses munitions et attendit. La première nuit, il tua deux lapins mais fut quand même un peu effrayé par le bruit de la détonation de son vieux fusil. Il apprit à Baptiste à monter à l’échelle et à rapporter le gibier, de sorte qu’il restait derrière le mur au cas où un gardien le surprendrait. Les gardiens, quant à eux, avaient bien entendu ces coups de fusils mais ils mettront plusieurs mois pour le prendre en flagrant délit.
Bouland sera condamné deux fois en correctionnel. Il paiera les amendes mais ne pourra résister à reprendre sa chasse.
Ce manège durera de 1871 à 1880 mais le nombre de sépultures grandissant, le terrain propice aux lapins diminua et les derniers tués étaient maigres et mal portants.
Pendant un mois, à l’affut toutes les nuits, il revint bredouille. Résigné, il vendit son fusil mais garda Baptiste. Dès lors, il fut triste et mourut quatre à cinq mois plus tard. On dit qu’il souhaita être enterré près de ses terriers.

Si vous visitez le cimetière du Père Lachaise, entrez y plutôt par l’escalier de la rue de la Réunion, l’ancienne impasse Bouland et faîtes une pause pique nique sur ses anciens terrains – aujourd’hui le jardin naturel Pierre-Emmanuel. Et peut-être aurez vous la chance d’y croiser un lapin, descendant des garennes du Père Bouland. Qui sait !

L’entrée du cimetière au bout de l’ex impasse Bouland -rue de la Réunion

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