Les caissons de Fulgence Bienvenüe

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Le "père du métro" Fulgence Bienvenüe devant la station Marceau (source RATP)

Si par hasard vous ne le savez pas, Fulgence Bienvenüe a supervisé pendant plus de trente ans les travaux du métro de Paris. Surnommé ” le père du Métro”, la station Montparnasse-Bienvenüe lui est dédiée. Il n’y a bien entendu pas de faute dans l’orthographe de la station.
Les travaux du métro ont débuté à la fin du XIXeme siècle et la première ligne qui traversait Paris d’Est en Ouest a été inaugurée pendant l’exposition universelle de 1900. Elle a remporté immédiatement un formidable succès.
Si l’ensemble des travaux représentent une succession de prouesses pour l’époque, nous allons nous arrêter sur un défi qui mérite d’être rappelé, celui de la traversée de la Seine de la ligne 4 qui est la première à parcourir Paris dans l’axe Nord-Sud.
C”est à Léon Chagneau que ces travaux titanesques vont être confiés. En 1904, l’homme vient de réussir à ensevelir un immense bloc de béton à la station Opéra où 3 lignes se croisent en se superposant.

> On ne dérange pas les immortels

A l’origine le tracé de la ligne 4 ne devait pas passer par le milieu de l’ile de la Cité mais à son extrémité, sous l’Académie Française, mais les Immortels ne souhaitaient pas être dérangés par ce futur métro. Ils auront gain de cause. Les parisiens, eux, y gagneront la station de l’Ile de la Cité en plein centre de Paris mais, vous allez voir, les techniques utilisées sont impressionnantes pour l’époque.

Plan de la traversée de la Seine de la ligne 4 (Génie civil du 2/12/1905)

Lorsque vous empruntez cette ligne 4, imaginez vous que vous passez à 15 mètres sous le niveau de la Seine ?
Nous allons suivre ce chantier et je suis certain que la prochaine fois que vous descendrez dans la station de l’Ile de la Cité, vous prendrez le temps de jeter un coup d’œil aux structures métalliques qui entourent les ascenseurs en pensant à ce qu’ont pu être les conditions de travail des ouvrier de l’époque.

Les escaliers de la station Cité insérés dans un des deux caissons verticaux
La station Cité à 15 m en dessous du niveau moyen de la Seine dans son caisson horizontal. On remarque aussi le raccord avec le caisson vertical des ascenseurs

> Un chantier titanesque

Profil en long de la traversée de la Seine par la ligne 4 (Génie Civil 2/12/1905)

Sur la coupe on peut imaginer les travaux à réaliser. Depuis la station Châtelet un tunnel en souterrain va rejoindre la Seine et se connecter avec 3 caissons qui auront été immergés sous le niveau du fleuve.
Ces caissons seront au même niveau que la station Cité composée d’un caisson horizontal et de deux caissons verticaux qui abriteront les escaliers et les ascenseurs. Ensuite deux caissons permettront le passage sous le petit bras de la Seine. Un court tunnel en souterrain rejoindra la station Saint Michel, elle aussi constituée d’un caisson horizontal et deux caissons verticaux. L’ensemble des 11 caissons vont occuper près de 400 mètres.

> La technique du fonçage

Léon Chaigneau va utiliser la technique du fonçage de caisson pour traverser le fleuve. Des caissons métalliques seront construits sur place puis acheminés par flottaison sur l’endroit où ils seront immergés, déposés ainsi sur le fond du fleuve puis enfouis progressivement jusqu’à leur position finale. Ils seront ensuite raccordés.

la technique du fonçage (les grands travaux 1924 L.Fournier)

> Un travail de forçats dans un espace de travail sous pression d’une hauteur de 1m80

Mais comment va-t-on faire descendre les caissons à leur place dans la terre au fond de la Seine ?
Une fois le caisson construit et à la verticale de sa position, l’espace entre la cloison externe et la cloison interne est rempli de béton.
Il va se poser de lui-même sur le lit du fleuve.
Sous le caisson un espace d’une hauteur de 1,80 m dit “chambre de travail” est alors pompée de son eau. C’est dans cet espace que des ouvriers vont creuser le sol.
Pour éviter que l’eau ne revienne, la chambre est maintenue sous pression, ce qui oblige les ouvriers à subir des phases de décompression avant de regagner l’air libre.

Le caisson qui a été muré provisoirement à ses deux extrémités pour le rendre étanche est alors rempli d’eau, ce qui va le lester.
Il pèse 4300 tonnes dont 300 tonnes de métal, 2000 tonnes de béton et 2000 tonnes d’eau de lestage. Le poids du caisson chargé d’eau aidera ainsi les ouvriers à l’amener à son emplacement définitif. Imaginez le travail de ces hommes qui creusent le sol sous la caisson à la pioche, évacuant les terres dans cet espace confiné. Peu à peu grâce à leur travail le caisson s’enfonce dans le sol.
Une fois en place, le caisson sera vidé de son eau et la chambre de travail remplie de béton.

Coupe d’un caisson de passage sous la Seine (Génie Civil 2/12/1905)

Pour raccorder les caissons entre eux, deux murs seront d’abord construits sur les côtés du raccord. Les ouvriers utiliseront pour cela un petit caisson toujours avec cette technique sous pression mais celui là sera remonté au fur et à mesure de la construction du mur latéral. Le dessus sera ensuite comblé et les extrémités provisoires des caissons seront détruites.
Le tunnel est terminé.

Le pilier de droite est terminé

Pour la réalisation des stations, la même technique sera employée, les sols étant gorgés d’eau.
C’est d’ailleurs lors de cette partie des travaux qu’un accident aura lieu.
Un “renard“, c’est à dire un trou générera une brutale dépression et deux ouvriers seront “aspirés” vers l’extérieur. Leur corps ne sera pas retrouvé.

Les caissons des stations Saint-Michel et Cité ont 68 mètres de longueur, 16,50 m de largeur totale et 12,50 m de hauteur. 

Fabrication d’un caisson du grand bras (Charles Maindron, 8 juillet 1905)
Assemblage des 3 caissons de la station Cité sur place 1907 (Bnf photo Agence Rol)
Station Saint Michel (Charles Maindron, 5 mars 1907. © BHdV / Roger-Viollet)
Fonçage des caissons de la station Cité (Charles Maindron, 18 janvier 1907)
Dortoir Réfectoire des ouvriers Charles Maindron, 29 avril 1908, Paris. © BHdV / Roger-Viollet

> Une autre prouesse : la congélation du sol

Une nouvelle difficulté attend les équipes de Léon Chagneau : il faut passer sous la ligne de chemin de fer qui relie les gares d’Orsay et Austerlitz sans que le terrain s’affaisse.
Les terres sont là encore gorgées d’eau et la circulation des trains ne peut être interrompue.
Chagneau décide alors de congeler le sol sur 80 mètres pour permettre de creuser en sécurité sous la voie ferrée, travail qui devra se faire de nuit lorsque les trains ne circulent plus.
Deux batardeaux isoleront la partie du cours du fleuve et un remblai de terre sera construit.

Technique de congélation du sol pour passer sous la voie de chemin de fer (source Les grands travaux / par L. Fournier 1924

La congélation fournie par deux usines montées sur place utilisait de l’eau salée refroidie à moins 24 degrés et concernait un volume total de 2145 mètres cubes de terrain, dont 750 mètres cubes d’eau.
60 trous de sondage furent forés à 1m20 l’un de l’autre et à 17 mètres de profondeur, descendant ainsi à 1 mètre au-dessous du radier du souterrain à exécuter.
Au bout de 40 jours le sol était suffisamment gelé. Le système fonctionna si bien que les ouvriers eurent même du mal à creuser le sol tellement celui-ci était dur.

La ligne 4 qui était antérieurement coupée en deux parties de chaque coté de la Seine verra ce tronçon ouvert en 1910.

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