Elle se nommait Alix. Alix la Burgotte ou Alix La Bourgeotte. On ne sait pas exactement son âge. Il faut dire que nous sommes le 2 juillet 1424 et que peu d’informations précises sont parvenues jusqu’à nous.
Probablement âgée de moins de 30 ans, Alix a fait le choix de devenir nonne.
Est ce elle qui en a pris la décision où sa famille comme c’est généralement le cas à cette époque ?
Pour une jeune fille, c’est soit le mariage avec comme mission principale d’enfanter soit le couvent.
Et malheur à celle qui ne pourra donner d’enfant à son mari.
Le mariage est arrangé très tôt par les parents dans toutes les couches sociales.
Le couvent peut être aussi un moyen d’échapper au mariage mais aussi de s’assurer une vie sûre et relativement confortable avec notamment un accès à la culture. Pour les familles nobles, la jeune fille devait apporter une dot pour cette entrée au couvent.
> 46 années recluse aux Innocents
Mais revenons à Alix. Elle est alors religieuse à l’hôpital Sainte-Catherine rue Saint-Denis, dans le quartier des Halles. Elle a demandé à être cloitrée, autorisation qui lui sera finalement accordée. Mais elle va le faire dans un cadre qui était assez courant à cette époque.
Elle vient d’acheter un terrain d’environ 5 toises au sieur Jean Nicolas, papetier de son état.
5 toises me direz vous ? Est ce grand ? Voyons : la toise est une unité de mesure ancienne qui correspond à 6 pieds français – c’est simple – soit deux verges ou une aune et demie. Et si j’ajoute qu’en matière de verge, la mesure diffère entre la verge anglaise, la verge espagnole ou la verge belge, nous sommes bien avancés. Preuve qu’on n’a jamais pu se mettre d’accord sur la bonne taille – je m’égare.
Non, ce n’est pas bien grand, juste de quoi bâtir sur ce terrain une bâtisse de 3 m sur 3 qui sera accolée à l’Eglise des Innocents. Les bâtisseurs y creusent deux minuscules meurtrières dotées d’une grille. Une de ces ouvertures donne directement sur l’intérieur de l’église, la seconde sur le cimetière des Innocents, côté rue Saint Denis.
Alix la Burgotte est ainsi autorisée à devenir “recluse“. Elle va être enfermée dans cette sinistre bâtisse jusqu’à sa mort, vouant désormais sa vie à la prière. C’est un acte volontaire et non pas une punition.
En cette année 1424, Alix entre dans son tombeau.
Après une cérémonie qui ressemble à un enterrement où on lui donne l’extrême onction – car elle est désormais rayée du monde des vivants – l’entrée de la petite maison est murée.
A l’intérieur, une table, un tabouret et une paillasse. Au mur, un crucifix.
Désormais c’est la municipalité qui se chargera de lui apporter le pain et l’eau qui feront l’essentiel de sa nourriture.
La recluse assistera aux offices et recevra des aumônes de ceux qui viennent lui demander de prier pour eux.
Selon la tradition, les recluses enfermées dans ces reclusoirs placés souvent sur les ponts ou à l’entrée des villes protègent par leurs prières les habitants et les récoltes.
Souvent les recluses ne supportent pas très longtemps les conditions de cet enfermement. Alix, elle, y vivra plus d’une quarantaine d’années.
Le roi Louis XI lui rendra visite et lui fera même construire à sa mort un tombeau en bronze dans l’Eglise de Innocents sur lequel était représentée un religieuse lisant un livre ouvert.
Alix légua ses biens à l’Eglise :
« Le 28 juillet 1466, Me Robert Perier, prêtre, chappelain en l’église des Saints-Innocens, Michel Le Borgne, tondeur de draps, et Jehan de Sainct-Jehan, tailleur de robbes, demourans à Paris, comme exécuteurs du testament de deffuncte sœur Alix La Bourgeotte, en son vivant recluse en la dicte église, confessent avoir fait dellivrance aux dictz marguilliers de la maison ou recluz qui appartenoit à la dicte deffuncte et où elle soulloiet habiter et demourer, ensemble ses bonnes heures à fermoirs d’argent, sa chapelle garnie de calice, nappe, messel, chasubles et ses relicques et generallement le résidu de tous ses biens… »
> Le second réclusoir des Innocents
Il y a déjà 18 ans qu’Alix la Burgotte occupe son reclusoir lorsqu’un second est édifié de l’autre côté de l’Eglise. C’est une certaine Jeanne La Verrière qui y est enfermée le 11 octobre 1442 après une cérémonie présidée par l’Evêque de Paris, Denis du Moulin. On ne sait combien d’années elle y vécut.
> Renée de Vendômois, recluse par punition
Le cas de cette troisième recluse du cimetière des Innocents est particulier car contrairement aux précédentes, Renée de Vendômois y a été enfermée par décision de justice, cas suffisamment rare pour qu’il mérite d’être conté.
Renée de Vendômois est issue d’une famille noble. Elle se retrouve à 16 ans veuve de Perceval de Halley mais son jeune âge et sa beauté ne manquent pas d’attirer Jean de Saint-Berthevin, âgé de plus de 40 ans qui l’épouse en 1478 et lui fait deux enfants.
La jeune épouse profite allègrement de la fortune de son époux mais ne tarde pas à prendre un amant en la personne d’un jeune écuyer, Guillaume du Plessis.
Constatant la disparition régulière de son argent, le mari finit par confondre les deux amants qui décident de faire disparaître Jean de Saint-Berthevin. Un serviteur s’en charge quelques jours avant Noël 1483.
Dès l’homme enterré, l’épouse infidèle n’hésite pas à faire main basse sur l’or, l’argent, les joyaux et les bagues du défunt, au détriment des enfants du premier lit.
La rumeur publique commence à se répandre, faisant de l’écuyer l’assassin du mari.
Mais Guillaume du Plessis s’enfuit à Saint Malo, ville franche. Or, un criminel ne pouvait jouir du privilège de l’immunité à Saint-Malo que s’il faisait préalablement sa confession par écrit sans omettre le plus petit détail. Voulant éviter la corde, il avoua donc tout : sa culpabilité, la complicité de Renée et les circonstances soit atténuantes soit aggravantes du meurtre.
Renée de Vendômois est alors trainée de prisons en procès mais n’avoue pas.
Elle est soumise à la “question ordinaire” c’est à dire plusieurs fois à la torture, probablement aux brodequins.
” Pendant que les coins de bois, frappés par le maillet du questionnaire, lui meurtrissaient les jambes et faisaient craquer ses os au milieu de souffrances inouïes, un impassible greffier se tenait à son bureau, prêt à enregistrer des phrases faites de cris de douleur et d’aveux.”
La recluse Renée de Vendômois par la Revue historique et archéologique du Maine 1892 gallica.bnf.fr
La complice de Guillaume du Plessis sort de cette épreuve infirme et impotente.
A 22 ans, elle est condamnée au bûcher et implore alors la clémence royale qu’elle obtient finalement.
Le 21 février 1486, Charles VIII écrit à ses conseillers tenant la cour de Parlement de Paris :
« Nos amés et féaux, notre très cher et très aimé frère et cousin le duc d’Orléans nous a supplié à différentes reprises de vouloir bien pardonner à Renée de Vendômois, prisonnière à la Conciergerie de notre palais, le meurtre de son feu mari, l’écuyer Jean de Saint-Berthevin. Nous désirons que justice soit satisfaite, mais, pour complaire à notre dit frère et cousin, nous voulons que la dite Renée ait la vie sauve. Si, par son procès, vous trouvez qu’elle a mérité la mort, nous vous mandons bien expressément de lui commuer cette peine en une autre que vous jugerez convenable, car tel est notre plaisir. »
La Cour la condamne alors à “faire amende honorable publiquement à genoux, nue tête, sans chaperon, vêtue d’un corset de gris blanc, sur lequel, à l’endroit de la poitrine, sera cousue une petite croix de bois; et, tenant en ses mains une torche de cire allumée, elle dira :
Je, Renée de Vendômois, remercie très humblement le roi, mon souverain seigneur, de la grâce qu’il m’a faite en me sauvant la vie et en me remettant la peine de mort que j’ai méritée et à laquelle j’ai été condamnée, pour ce que, faussement, mauvaisement, par conspiration et machination mauvaise, j’ai commis adultère, vol et larcin des biens de feu monseigneur de Souday, Jean de Saint-Berthevin, lors mon mari, et que j’ai été cause que, inhumainement, il a été meurtri et occis près de sa maison de Souday par un nommé Gros-Jehan, serviteur de Guillaume du Plessis, mon adultère, ce dont je me repens et requiers merci et pardon à Dieu, au roi, à justice, aux enfants du dit défunt seigneur et à tous ses autres parents et amis»
Cette condamnation de Renée de Vendômois s’accompagne d’une mesure d’enfermement :
« A demeurer perpétuellement recluse et emmurée au cimetière des Saints-Innocents à Paris, dans une petite maison qui sera faite à ses dépens, des premiers deniers venant de ses biens, maison joignant l’église, comme elle était anciennement, pour y faire pénitence et finir ses jours au moyen d’aumônes et du résidu de ses biens »
Son amant pour sa part, bien que condamné à être pendu échappera à sa sentence.
La recluse par décision de justice mourra dans sa bâtisse du Cimetière des Innocents.
> Les recluses et la littérature
Dans Notre-Dame de Paris, Victor Hugo qualifie le reclusoir de «tombe anticipée» et sa résidente, sœur Gudule, de «squelette vivant».
Mais, selon nous, c’est le texte du regretté Jean Teulé tiré de son livre « Je, François Villon » publié en 2006 et « Prix du récit biographique » la même année qui décrit le mieux l’ambiance de cette mise en réclusion :
“Jamais je n’oublierai cette image d’Isabelle qu’on emmure à l’aube au réclusoir des Innocents… Dimenche Le Loup, devenu maître marguillier – en manches relevées, tablier, calot sur ses cheveux frisés – finit d’élever une maçonnerie derrière mon amour qu’il enferme dans un petit réduit où elle ne pourra que se tenir debout ou s’asseoir sur un banc de pierre, jamais se coucher, jusqu’à la fin de ses jours.
– Elle va pisser, chier sous elle, se noyer dans sa merde, me rappelle Dogis qui n’est pas un poète.
– Des passants charitables déposeront de la nourriture entre les barreaux des ouvertures, glisseront des couvertures en hiver…, soupire Guy qui voit les choses autrement. Certaines résistent longtemps. Regarde, là, Jeanne la Verrière, quarante ans qu’elle est dans sa loge.
Je n’en reviens pas. « Quarante années de solitude au cimetière dans une tombe pour vivante par tous les temps, pluie, vent, neige, nuit et jour… »
Le rouquin Robin croit me consoler en précisant que :
– Rares sont celles qui tiennent autant. Passé les premières années, elles meurent presque toutes de folie là-dedans. Ce que je ne sais pas, c’est quand l’une d’elles claque et qu’on détruit sa loge, que fait-on du corps ?Nous sommes tous les trois en retrait de cette cérémonie comparable à une prise de voile. Un évêque dans sa tenue d’apparat, crosse liturgique à la main, marmonne des choses en latin, bénit la cellule d’Isabelle qui a décidé de s’astreindre à cette… (vie ?)
Entre un apprenti qui présente les dernières pierres à sceller et un ouvrier qui verse du mortier dans une bassine, Dimenche Le Loup manie la truelle devant Isabelle qui me regarde. Elle est coiffée d’un simple voile. La brûlure d’une fleur de lys décore sa gorge. Sa mère décomposée, près de l’évêque, tourne la tête vers moi qui me recule derrière la loge de Renée de Vendômois (vingt et un ans de présence) à côté de celle où, depuis douze ans, est enfermée Alix la Bourgotte.
Le ciel est irréel, vert avec des lueurs roses. Des bourgeois se décoiffent, impressionnés par cet étrange renoncement. Un enfant de chœur se retourne vers une femme qui s’agenouille :
– Le doux Jésus la mette au Paradis”
Autrefois synonyme de vertu, la réclusion devint une peine infamante aux yeux de la société à la fin du XVème siècle.
Si on peut très bien reconnaître sur plusieurs gravures du Cimetière des Innocents et de son église les petites bâtisses des reclusoirs, il ne reste aujourd’hui que la Fontaine des Innocents, déplacée de plusieurs mètres.
L’église fut démolie en 1786 lors de la suppression du cimetière et des charniers.
Je vous invite à découvrir l’histoire du cimetière dans un précédent article.