N’est-il pas mignon ? Si il savait ce qu’ont enduré ses ancêtres.
Depuis 10.000 ans le Chien et l’Homme cohabitent en bonne intelligence et aujourd’hui 7,5 millions de nos amis à 4 pattes partagent le quotidien des français.
C’est surtout au XIXème siècle qu’eut lieu une forte croissance du nombre de chiens en France.
D’un million avant la Révolution, leur nombre passe à près de trois millions en 1900, soit une multiplication par trois.
Si cette augmentation touche presque tous les animaux domestiques, c’est surtout parce parce qu’on les utilise à des tâches de plus en plus nombreuses.
Dans le monde agricole bien sûr mais aussi dans des secteurs que l’on a oubliés aujourd’hui : En Haute-Marne, l’industrie de la coutellerie emploie des chiens pour actionner les meules; dans les Vosges, les chiens de cloutier, en tournant dans une roue, permettent d’actionner le soufflet de la forge; dans le Loiret les chiens livrent le pain, ect…
> Qui veut tuer son chien l’accuse de la rage
Mais leur développement suscite aussi une peur croissante de la rage, notamment dans le cas des chiens errants même si les municipalités essayent d’imposer le port du collier marqué du nom du propriétaire.
Dans les années 1830, le courant hygiéniste prêche pour une réduction drastique du nombre de chiens. Des rumeurs circulent : des chiens errants attaqueraient les personnes se déplaçant à pied ou à cheval, les troupeaux et le gibier.
Le Journal de la ville de Saint-Quentin et de l’arrondissement du 10 mai 1840 partage avec ses lecteurs ses propres statistiques :
“On a calculé que les deux millions de chiens qui existent en France, consomment trois cent soixante-cinq millions de demi kilogrammes de pain par an, c’est-à-dire, qu’ils absorbent la subsistance de cinq cent mille malheureux qui souffrent de la faim”.
Cela ne peut plus durer. On lorgne de l’autre côté de la Manche où un impôt sur les chiens a été institué.
A l’opposé, le poète Lamartine lors d’une séance du Conseil général de Saône-et-Loire en 1845 rappelle l’attachement réciproque des chiens et des maîtres dans un vibrant plaidoyer :
Où avez-vous vu le plus de chiens ? Est-ce dans les salons, ou dans les chaumières ?
C’est dans les demeures du peuple que les chiens se comptent en plus grande masse. C’est sur le peuple surtout que porterait l’impôt.
Comment distingueriez vous le chien utile, serviable, ou le chien inutile, parasite ? Cette distinction serait pleine d’erreurs et de réclamations. Est-ce un chien de luxe que le chien de l’aveugle ou du mendiant, à qui l’on confie tout le jour les pas du vieillard, et qui quête l’aumône pour lui ?
Est-ce un chien inutile que le chien de garde, qui, à la porte ou dans l’intérieur du logis, avertit le maître du rôdeur de nuit, ou qui le défend contre les brigands sur la route ?
Est-ce un chien inutile que le chien de berger, qui remplace, à lui seul, deux ou trois serviteurs dans la ferme ? Vous ne trouverez guère dans les huit ou dix catégories de chiens qui peuplent nos villes et nos campagnes que deux catégories de chiens de luxe : les chiens de chasse et les chiens domestiques. Qu’est-ce que cela produira quand les possesseurs de ce petit nombre d’animaux, menacés par l’impôt, les auront réduits ou sacrifiés à l’économie ? Déduction faite des frais de perception et des fraudes, presque rien ! Et encore, combien, en frappant les chiens du foyer, les chiens domestiques dont le seul service est d’aimer leurs maîtres et d’en être aimés, combien n’aurez-vous pas froissé, blessé, contristé d’affections, d’habitudes, de sociétés devenues pour ainsi dire des intimités ? Que de solitaires, que de pauvres femmes travaillant en chambre, que de vieillards sans famille et sans amis, repoussés dans leurs infirmités par tout le monde, excepté par cet animal qui n’abandonne jamais, le seul être peut-être qui s’attache à l’homme en sens inverse de sa fortune, plus dévoué aux plus misérables, plus assidu autour des plus abandonnés ! Que d’enfants à qui leur père sera obligé de retrancher le chien du foyer ! Véritable calamité domestique, véritable dommage moral fait à l’enfance, car le chien a une fonction auprès de l’enfant. Le chien apprend à aimer ! Il enseigne l’amitié à l’homme ! Eh bien ! il faudra, après votre impôt, que tout cela paye ou se prive du chien, du compagnon, du gardien, du serviteur, du consolateur, de l’ami ! Il faudra que toute cette partie solitaire, infirme, indigente de la population tue son chien ou se retranche sur le nécessaire une partie du morceau de pain qui la nourrit, et qu’elle partage généreusement avec cet ami du pauvre, pour pouvoir payer les 15 ou 20 francs par an dont vous proposez de frapper non pas seulement les services que le chien rend à l’homme, mais encore l’instinct qui l’attache à nous ! Impôt presque immoral, impôt sans intelligence, sans miséricorde et sans entrailles ! Véritable impôt sur le sentiment qu’on pourrait appeler, sans vous faire injure, une dîme sur le cœur du peuple !
Le couperet tombe le 2 mai 1855 lorsque le gouvernement de Napoléon III fait voter une loi qui institue une taxe communale annuelle sur les chiens à laquelle seront assujettis leur propriétaire
Le tarif est d’1 franc à 10 francs par chien selon les communes et selon qu’il s’agit d’un chien d’agrément ou de chasse (1ère catégorie), ou d’un chien servant à guider les aveugles ou à garder les troupeaux et les habitations (2eme catégorie).
Il existe déjà une taxe sur les fenêtres dont nous vous avons parlé dans un précédent article.
> Un nouveau métier : aboyeur
Cette nouvelle taxe sur les chiens va créer un nouveau métier, celui d'”aboyeur“.
Il consistait à dénicher les chiens qui n’avaient pas été déclaré par leur propriétaire en mairie. Le métier était à la portée du premier venu. Il suffisait de s’agiter bruyamment devant les maisons pour faire aboyer les chiens. Il ne restait qu’à vérifier avec le rôle de la mairie.
Mais ce nouvel impôt va avoir une conséquence horrible pour bon nombre de nos amis à 4 pattes : une hécatombe gigantesque à laquelle vont se livrer les propriétaires pour éviter d’être taxé. La mesure déclenche une vague d’exécutions de chiens, et surtout de chiennes dont on craint les portées, pour ne pas la payer : au fusil, au poison, par pendaison, coup de masse, noyade, etc.
Le nombre des cadavres est tel que l’industrie de la mégisserie se convertit aux gants en peau de chien .
Le Journal des villes et des campagnes note par exemple :
On prétend que plus de 1.200 chiens ont disparu d’Orléans, depuis que la loi leur a fait le périlleux honneur de les transformer en contribuables.
La Presse du 20 janvier 1856 se montre plus pragmatique :
“Au moment où la mise en vigueur de la loi sur la taxe des chiens occasionne une Saint Barthélémy parmi l’espèce canine, il n’est pas sans intérêt de savoir ce que vaut la dépouille de cet animal, grand ami de la picorée de l’homme.
On peut tirer du chien mort :
1° Une peau, qui est vendue par première main de 40 à 89 centimes ;
2° De la graisse, en plus ou moins, grande quantité qui est vendue, par les chiffonniers de Paris qui s’occupent de ce produit, de 60 à 80 centimes le kilogramme en vrac […]
3° des chairs, des os et du sang, qui, comme engrais, ont une valeur moyenne de 15 c. […]
— Soit environ 5 fr. pour la valeur d’un chien mort […]
En évaluant à deux cent mille le nombre de chiens qui seront abattus d’ici au mois de février, et à 5 fr. le produit de chacun d’eux, c’est 1 million de francs que l’économie industrielle va retirer de cette mesure. Si on évalue en outre la nourriture de ces parasites à 5 centimes de pain par jour, ou 18 francs par an au moins, on trouve qu’ils laisseront pour 3 à 4 millions de nourriture disponible, qui reviendra aux autres animaux. Lorsqu’on n’estime qu’à 5 centimes par jour la nourriture d’un chien, on reste au-dessous de la vérité, pour le moment, et au prix où sont les denrées alimentaires, il y a, à Paris, dix mille chiens nourris de blanc de poulet, de biscuit, de sucre, dont la nourriture s’élève au moins, à 1 fr. par jour, soit près de 4 millions par an. Quoi qu’il en soit, les chiens qui disparaissent auraient pu ou pourront avoir après leur mort une valeur au moins égale à celle qu’ils avaient avant, et laisseront certainement à la disposition de la population pour quelques millions de nourriture.”
Même pour un chien de compagnie, la fin violente est une conséquence du statut encore très dévalorisé du chien. Il est rarement acheté – ce qui est considéré comme « le comble de la bêtise humaine », il ne représente qu’une faible valeur pour laquelle la plupart des maîtres ne veulent rien dépenser ou le moins possible.
Dans un beau passage résumant très bien les positions divergentes de l’époque, Émile Zola présente le chien d’une famille bourgeoise que celle-ci laisse vieillir, perdre la vue, se paralyser de l’arrière-train, et qu’elle voudrait faire soigner de son cancer :
” On avait fait venir un vétérinaire, qui s’était mis à rire en le voyant.
Emile Zola ( La Joie de vivre –1884).
Comment ! On le dérangeait pour ce chien ?
Le mieux était de l’abattre. Il faut bien tâcher de prolonger la vie d’un homme, mais à quoi bon laisser souffrir une bête condamnée.
On avait jeté le vétérinaire à la porte, en lui donnant les six francs de sa consultation. […] Comme le docteur Cazenove était venu de bonne heure, il offrit à Lazare de voir le chien, qu’on traitait en personne de la famille.
Ils le trouvèrent couché, la tête haute, très affaibli, mais l’œil vivant encore.
Le docteur l’examina longuement de l’air réfléchi qu’il prenait au chevet d’un malade .”
> La condition des animaux s’améliore
D’utilitaire, le chien devient animal de compagnie et concourt désormais à la qualité de vie des hommes.
En 1824, une Société protectrice des animaux voit le jour en Angleterre. En 1845, outré des mauvais traitements infligés aux chevaux, le comte de Grammont fonde la SPA française.
Mais si les conditions de vie des chiens s’améliorent vers la fin du XIXème siècle, rien n’est prévu après leur mort.
De plus l’hécatombe de 1855 est bien réelle.
Si à la campagne, il est une habitude de jeter un animal mort dans un trou de renard, à Paris, on le jette simplement dans les poubelles, dans les fossés des fortifications ou dans la Seine. Entre 1899 et 1905, le nombre de cadavres canins trouvés dans la Seine ou la Marne oscille entre 8.000 et 10.000 par an !
Une nouvelle loi le 21 juin 1898 va changer la donne. Elle permet que les animaux domestiques puissent être enterrés « dans une fosse située autant que possible à cent mètres des habitations et de telle sorte que le cadavre soit recouvert d’une couche de terre ayant au moins un mètre d’épaisseur ».
Une journaliste féministe, Marguerite Durand, et un avocat, Georges Harmois, créent le 2 mai 1899 la Société Française Anonyme du Cimetière pour Chiens et autres Animaux Domestiques. Ils achètent le 15 juin 1899, au baron de Bosmolet la moitié de l’île des Ravageurs située en amont du pont de Clichy et ouvrent le premier Cimetière pour chiens en 1899. On le nommera Cimetière des chiens alors qu’en réalité il héberge aujourd’hui chiens, chats, oiseaux, lapins, tortues, souris, hamsters, poissons, chevaux, et même singe, gazelle, fennec, maki comme nous le précise le site du cimetière géré aujourd’hui par la ville d’Asnières qui en est désormais le propriétaire.
> Les illustres pensionnaires du cimetière des chiens d’Asnières
Il est habituel à l’entrée des cimetières parisiens d’en énumérer les illustres locataires. Voyons qui repose en paix dans ce cimetière bien original que je vous conseille de visiter.
Parmi les 849 concessions, on trouve des animaux vedettes : le célèbre berger allemand Rintintin, héros de plus d’une trentaine de films. Certains d’entre nous se souviennent aussi de l’orphelin Rusty interprété par Lee Aaker, dans la série “Rintintin“.
L’histoire de ce chien est assez incroyable. Il est né en Meurthe et Moselle en septembre 1918 . Un caporal américain Lee Duncan, mitrailleur sur bombardier, découvre en 1918 une chienne avec une portée de chiots dans un chenil d’un camp allemand bombardé. Le caporal récupère deux chiots qu’il nomme Nénette et Rintintin. Si Nénette ne survit pas lors du retour en Amérique, Rintintin s’avère un chien particulièrement habile. Il participera à plusieurs spectacles et se fera repérer par le producteur et réalisateur Darryl Zanuck qui l’ayant vu sauter à plus de quatre mètres pour franchir une palissade, demande à filmer le chien. C’est le début d’une carrière d’acteur canin pour Rintintin. Il décédera le 10 août 1932 et Lee Duncan le fera inhumer au cimetière d’Asnières.
Parmi les tombes, vous découvrirez un petit chien de pierre qui tend la patte à un soldat casqué. C’est Mémère, née en 1914, et qui resta quinze ans durant la mascotte des chasseurs à pied.
Dans un espace qui leur est dédié reposent des chiens policiers victimes du devoir. Un monument est érigé en 1912, quelques années après que les commissariats de banlieue aient été dotés de chiens de police. Il abrite Dora (1907-1920), du commissariat d’Asnières ; Top, plusieurs fois médaillé ; Papillon, huit ans de service dans le XVIe arrondissement ; Léo, tué au service…
Il y a aussi Barry, un épagneul des Alpes, précurseur du Saint Bernard qui aurait sauvé 40 personnes, Clément, le chien de Michel Houllebecq, Kroumir, le chat d’Henri Rochefort, dont on raconte qu’il serait mort de tristesse quatre jours à la suite du décès de son maître, ou encore les animaux de compagnie de Camille Saint-Saëns, d’Alexandre Dumas, de Courteline et de Sacha Guitry.
Le cimetière héberge aussi Gribouille, le cheval de Marguerite Durand ;
Enfin, anonyme parmi les anonymes, un chien errant vint mourir, le 15 mai 1958, aux portes du cimetière. La direction lui érigea un monument. C’était le 40.000e animal à être enterré dans la nécropole…
> C’est la fête dans les chenils
La taxe sur les chiens restera en vigueur jusqu’en 1971. C’est Valéry Giscard d’Estaing qui obtiendra sa suppression. Comme vous pourrez le lire ci-après, son intervention devant les parlementaires ne manquait pas de mordant :
” D’après la société protectrice des animaux, il y a actuellement environ sept millions de chiens en France, mais six cent mille seulement supportent la taxe.
Journal officiel du 13 mai 1971
Je ne voudrais pas néanmoins que l’on jetât sur les chiens un injuste discrédit en laissant imaginer qu’environ les neufs dixièmes d’entre eux sont des fraudeurs. En fait, de nombreuses collectivités locales avaient renoncé depuis longtemps à ce prélèvement fiscal.
Il y a donc 600 000 chiens imposés et le produit fiscal est de 3,5 millions de francs. Encore ces chiens sont-ils classés en deux catégories. La première comprend les chiens d’agrément et les chiens servant à la chasse, taxés un peu plus que les autres et ce en fonction de la population de la ville qu’ils habitent. Selon qu’il s’agit d’une ville de moins de 50 000 habitants, de 50 000 à 250 000 habitants ou de plus de 250 000, les chiens de chasse et d’agrément payent un impôt différent.
La deuxième catégorie comprend les chiens servant à la garde des troupeaux, des habitations, des magasins, des ateliers et, d’une manière générale, tous les chiens non compris dans la catégorie précédente. Ceux-là sont assujettis à un taux plus réduit : trois francs par an dans les communes de moins de 50 000 habitants, et dans les communes de plus de 250 000 habitants, ce taux atteint dix francs par an.
Nous avons pensé qu’il était temps de mettre un terme à cette injuste discrimination qui frappait les chiens et obligeait les administrations fiscales à établir environ 600 000 articles de rôle par an.
Je souhaite que le vote de ce texte, qui retire aux chiens leur qualité de contribuables, soit salué par des aboiements joyeux dans tous les chenils de France.