Cette plaque, vous l’avez sûrement vue sur les façades des immeubles parisiens.
Elle avertissait les éventuels acheteurs ou locataires que la bâtisse était équipée des dernières technologies de l’époque – un peu comme aujourd’hui on note que nos immeubles sont équipés de la fibre.
Avant qu’elle soit en partie détrônée par l’électricité surtout pour la lumière, l’arrivée de cette énergie a été vécue par les parisiens – les plus aisés au début – comme une révolution. L’éclairage des rues au gaz a permis notamment de rendre les voies de Paris plus sûres la nuit.
Il faut rendre à son inventeur trop souvent oublié la place qu’il lui revient. Nous allons parler de Philippe Lebon.
> Les précurseurs
Thomas Shirley en 1659 puis le docteur Clayton en 1664 observèrent que la houille décomposée par la chaleur fournissait de l’eau, une substance noire -en fait du goudron- et un gaz qu’ils ne parvinrent pas à isoler. Il fallut attendre 1786 pour que Lord Dundonald réussisse à faire brûler ce gaz au bout de tuyaux métalliques. Mais à l’époque ils ne considéraient cela que comme un phénomène curieux surnommé “la lumière philosophique“.
> Philippe Lebon invente sa “thermolampe”
C’est Philippe Lebon d’Humbersin, ingénieur des Ponts et Chaussées qui, sur la base du travail de ses prédécesseurs, dépose un brevet pour sa “thermolampe“, un “poêle qui chauffe et éclaire avec économie“.
Dans ses deux brevets le 11 septembre 1796 et le 28 septembre 1799 et un certificat d’addition le 25 août 1801, l’ingénieur décrit comment en distillant du bois, il obtient du gaz hydrogène.
Il a mis au point un appareil qui sert au chauffage de l’appartement, le gaz produit servant, lui, à l’éclairage. Mais il précise aussi les applications de son invention car il voit grand. La “thermolampe” et ses dérivés permettront “l’éclairage des villes par le gaz, le chauffage par le gaz, l’illumination des fêtes publiques par le gaz”, de réaliser une “machine motrice à gaz détonant par l’étincelle électrique, une machine à air dilaté, la distillation du goudron végétal et distillation de l’acide pyroligneux.”
Toutes les utilisations du gaz figurent dans le brevet des “thermolampes” de Philippe Lebon.
> Lebon persévère mais le destin en décide autrement
En 1801, Philippe Lebon loue l’hôtel de Seignelay qui est un hôtel particulier situé au 80, rue de Lille, dans le 7e arrondissement de Paris.
Il y établit des ateliers et une vaste « thermolampe » qui « distribue la lumière et la chaleur dans de grands appartements, dans les cours, dans les jardins décorés de milliers de jets de lumière sous la forme de rosaces et de fleurs ».
La foule se presse dans les jardins et admire surtout une fontaine illuminée. Des urnes déversent l’eau au milieu des flammes.
Mais Lebon n’est toujours pas reconnu par les pouvoirs publics.
Alors qu’il souhaite pouvoir déployer son invention pour le chauffage et l’éclairage urbain, il est néanmoins invité le 19 juillet 1803 par l’Athénée des Arts qui souhaite “qu’il soit présent aux témoignages d’estime que l’on voulait rendre à ses talents“.
Et c’est alors que les autorités ne virent dans l’invention de Lebon que la possibilité de fabriquer du goudron. Or les flottes de la France ont besoin de ce goudron et une concession est allouée à Philippe Lebon qui en produira cinq quintaux par jour en forêt de Rouvray à coté du Havre.
Approché par les russes qui lui proposaient de lui acheter son invention, il refusa, répondant fièrement que son invention appartenait à son pays.
Peu à peu son entreprise prospéra et la fabrique commençait à faire des bénéfices lorsque Philippe Lebon assista au couronnement de l’Empereur Napoléon 1er à Notre Dame le 2 décembre 1804. En sortant de la cathédrale, il traversa les Champs Elysées qui n’était à l’époque qu’un cloaque désert quand il fut assassiné de 13 coups de couteau. Il a 37 ans. Son assassin ne sera jamais retrouvé.
Sa veuve poursuivra son œuvre. Elle refit une illumination au gaz au 11 rue Bercy en 1811 et obtint de l’empereur une pension de 1.200 francs mais elle décèdera en 1813.
> La première usine à gaz de Paris
Songeant déjà à l’installer dans les rues parisienne, le préfet Chabrol propose donc qu’on l’essaye à l’hôpital St-Louis.
Cet hôpital avait été créé en 1607 en dehors des murs de Paris à l’époque pour les malades mis en quarantaine.
Pour ces essais, Il faut installer une usine à gaz et c’est donc tout naturellement qu’on l’installe en 1817 sur les terrains de l’hôpital (au croisement des actuelles rues Bichat et de la Grange-aux-Belles).
En guise de canalisation, on utilise 1500 canons de fusils donnés par le Ministère de la guerre.
Le 25 décembre 1818, la messe de Noël est célébrée dans la chapelle de l’hôpital Saint-Louis à la lumière du gaz.
C’est donc la première usine à gaz de Paris.
Elle a servi jusqu’en 1860 pour éclairer et pour chauffer.
> La révolution du gaz
Au début du XIXe siècle, l’arrivée du combustible gaz révolutionne la vie nocturne dans les villes.
A partir de 1816 apparaitront les premiers candélabres au gaz dans les rues de Paris.
Des becs de gaz, allumés et éteints chaque matin et chaque soir par les éclaireurs, sont reliés à de grands réservoirs, les gazomètres, situés souvent en dehors des villes.
Pour améliorer la qualité de l’éclairage au gaz, on utilise le modèle des becs d’Argan du nom de son inventeur en 1782 ainsi que les becs papillon de la forme de la flamme en aile de papillon.
Vers 4 heures de l’après-midi, l’hiver, les parisiens ont désormais l’habitude de voir passer les allumeurs de réverbères.
Muni d’une longue perche qui se termine par un crochet, l’allumeur de réverbère ouvre le robinet de gaz dans le candélabre. Dans une partie de la perche se tient une petite lampe à huile avec une flamme permanente. Un vaporisateur à alcool est actionné par une poire tenue dans la main de l’allumeur de réverbère.
Lorsqu’il repasse vers 3 heures du matin pour éteindre le réverbère, le parisien dort profondément.
A la Belle Epoque, on comptera plus de 50.000 becs installés dans Paris
> Le gaz entre dans les appartements
Le gaz est arrivé chez les particuliers 50 ans après la première flamme qui a éclairé Paris.
Les milliers de kilomètres de tuyaux et de canalisations parcourent alors les sous-sols des villes et renouvellent le métier de plombier.
Après l’eau, celui-ci doit maîtriser un nouvel élément très dangereux, car inflammable, explosif et toxique. Les tuyaux en terre cuite et en bois sont vite abandonnés pour des matériaux étanches et plus sûrs. Malgré ces précautions, les accidents ne sont pas rares car le gaz de ville est inodore. C’est pourquoi on y ajoute du mercaptan, gaz très nauséabond, pour détecter immédiatement toute fuite.
L’éclairage privé sera progressivement déployé grâce au réseau de colonnes montantes installées dans les immeubles en 1859. Avant cette date la livraison du gaz se limite au rez-de-chaussée.
Les appartements ne sont souvent dotés que d’un seul bec Auer qui éclaire la salle à manger.
Dans un second temps on verra se déployer l’utilisation du gaz pour le chauffage et la cuisine.
A la même époque on passe d’une tarification au bec de gaz à celle d’une consommation enregistrée par un compteur.
Le gaz est fabriqué dans des usines en périphérie de Paris au delà des murs des Fermiers Généraux, et stocké dans des gazomètres puis distribué dans Paris. Les conditions de travail sont très dures. Les ouvriers alimentent les fours avec du charbon acheminé par voie fluviale et par train.
En 1913 les entrepreneurs commencent à poser les alimentations électriques gratuitement. Une seconde révolution se prépare. Le gaz ne sera pas détrôné pour autant et ses applications resteront nombreuses.
La place de la Concorde restera éclairée au gaz jusqu’en 1960.