Cette citation est tirée d’un dialogue écrit par Michel Audiard.
On n’échappe pas au fisc dit-on souvent.
3 % des Français estiment qu’ils ne payent pas assez d’impôts. Et oui, il en existe.
Mais rassurez vous, la majorité pense que leur contribution fiscale est trop élevée (63 %).
Le sentiment qui domine, c’est surtout celui d’un accroissement de l’injustice fiscale, que les classes moyennes sont lourdement imposées et que les riches ne le sont pas à la hauteur de ce qu’ils perçoivent, ayant en plus les moyens de bénéficier de règles ou niches fiscales avantageuses.
Sur ce sujet comme sur bien d’autres, l’histoire n’est-elle pas un éternel recommencement ?
Voyons cela de plus près.
> Déjà taillables et corvéables à merci
Le 2 novembre 1349, c’est la naissance de l’impôt permanent. On le doit au roi Charles VII.
En droit féodal français, le roi ne pouvait lever l’impôt qu’après convocation des états généraux, et uniquement pour payer une rançon, financer une guerre ou un mariage.
Ainsi, lorsque le roi devait partir à la guerre et pour cela recruter des mercenaires, pour les rémunérer, il lui fallait obtenir le droit de prélever la “taille de la lance “.
La “taille” est au milieu du Moyen Âge une taxe arbitraire prélevée par le seigneur sur ses paysans en échange de sa protection. On la nomme la “taille seigneuriale”.
Son nom vient de ce que les paysans recevaient un bâton avec une encoche comme preuve de paiement.
Ils se plaignaient d’être «taillables et corvéables à merci» . La “corvée“, c’était un autre impôt sous forme de travaux tels que l’entretien des fossés du château du seigneur ou la rénovation des ponts et des routes.
La collecte de cette taille royale ne pouvait être déclenchée qu’à l’issue de la réunion des “Etats Généraux“.
Et oui, on a trop tendance à croire que les Etats Généraux datent de la Révolution. Il n’en est rien.
Cette institution a été créée par Philippe le Bel en 1302.
Les Etats Généraux, c’était une assemblée qui réunissait les trois ordres (les états) de la société : la noblesse, le clergé et le tiers état.
Ils étaient convoqués sur ordre du roi dans des circonstances exceptionnelles (crise politique ou financière, guerre ou question diplomatique majeure).
Mais en 1349, les représentants des états sont lassés de se réunir tous les ans pour renouveler l’autorisation de lever l’impôt.
À Orléans, ils accordent donc à Charles VII la permission de renouveler la « taille » d’année en année.
Aussitôt, le roi s’empresse de rendre une ordonnance pour la prélever annuellement dans le pays.
Il institue aussi le “fouage“, l’impôt sur chaque feu (ou foyer) et la “gabelle“, l’impôt sur le sel. Le principe général est le suivant : le sel fait l’objet d’un monopole royal. Il est entreposé dans des greniers à sel, où la population l’achète taxé et au détail. Il est surtout utilisé pour la conservation des aliments. La gabelle fournira jusqu’à 6 % des revenus royaux.
> Les origines de l’impôt : Dieu et les guerres
Lorsqu’on remonte le temps, les historiens trouvent deux origines à l’impôt :
La première est religieuse : les offrandes et les sacrifices étaient très répandus pour “sauver son âme”. Les souverains et les clercs étaient présentés comme des intermédiaires entre Dieu et les Hommes. C’était donc naturel qu’ils soient récipiendaires de ces dons puis des prélèvements à destination de l’Eglise.
La “dîme” en est un exemple. Cet impôt correspondait à un dixième de la production prélevé sur la récolte des paysans.
A titre d’exemple la “dîme saladine” est un impôt créé en 1188 par Henri II d’Angleterre et Philippe Auguste pour financer la troisième croisade contre le chef musulman Saladin.
C’est le premier impôt véritable créé pour les croisades. Il porte sur les biens meubles et les revenus.
Toute la population était imposée sauf ceux qui partaient se battre. Ceux qui restaient en Europe et qui ne payaient pas l’impôt étaient punis d’excommunication.
Une seconde origine de l’impôt est politique.
Lorsque les peuples se sont sédentarisés et ont commencé la culture, les surplus étaient constamment pilés et des guerriers furent payés par la collecte d’impôt en vue de protéger les récoltes.
Nous avons vu la “corvée” qui sera, à l’apparition de la monnaie, peu à peu remplacée par la “taille“.
Cet impôt sera très impopulaire car il pesait sur les petites gens et pouvait être collecté plusieurs fois dans l’année au bon vouloir du seigneur.
D’autant que le montant de cet impôt varie d’un seigneur à l’autre.
Et, si vous souhaitiez vous installer dans une autre seigneurie, vous deviez alors payer la “forfuyance“, une taxe à payer par le serf à son seigneur lorsqu’il souhaite se mettre au service d’un autre seigneur.
En cas de mariage, si un des deux époux venait d’une autre seigneurie, il devait payer un droit de “formariage“.
Lorsqu’un serf mourrait, la majeure partie de ses biens revenait à son seigneur, c’était la “mainmorte“.
Si le paysan doit acquitter au seigneur un impôt foncier, le “cens” pour avoir le droit d’utiliser une terre, il doit aussi payer en plus de la “dîme” versée à l’Eglise, le “champart“, une taxe à destination du seigneur. Elle est prélevée sur chaque récolte.
Tout roturier doit payer les “banalités‘ pour utiliser le four ou le moulin, l”‘afforage” s’il utilise un tonneau pour le vin, un droit de “glandage” s’il élève des cochons et un droit “d’abeillage” s’il possède des ruches.
Nous avons déjà évoqué dans un de nos articles l’impopularité de “l’octroi“, cette taxe qui frappait toutes les marchandises qui entraient dans Paris.
Dans tout le pays des taxes de ce type s’appliquèrent, que ce soit le droit de “péage” à l’entrée de la seigneurie ou droit de “passage“. Les ponts étaient taxés, l’utilisation des fleuves et des embarcations aussi. C’était le droit de “pontonnage“.
On le voit, les taxes et impôts pesaient fortement sur le peuple. De plus, le seigneur était investi d’un ” droit de justice” qui lui permettait d’infliger des amendes pour tout et n’importe quoi. Il pouvait confisquer les biens pour causes de trahison ou de blasphèmes.
Contrairement aux pauvres, les nobles ne payaient pas la “taille“, mais ils étaient tenus de payer “ l’impôt du sang“, c’est-à-dire faire la guerre pour le royaume.
Néanmoins, le Clergé et la Noblesse échappaient à de nombreux impôts.
> Les “quatre vieilles”
Les inégalités et abus que nous venons d’évoquer seront une des principales causes de la Révolution Française.
L‘article 1 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen va affirmer que “les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits “, et dans son article 6 que « la loi doit être la même pour tous ».
Cela implique qu’un même régime fiscal doit s’appliquer à tous les contribuables placés dans la même situation.
De plus l’article 15 est un rempart contre l’arbitraire puisqu’il affirme que la société (donc l’ensemble des citoyens qui la compose) a « le droit de demander compte à tout agent public de son administration ».
Avec la Révolution l’ancien système fiscal est supprimé. Les impôts indirects sont abolis à l’exception des droits d’enregistrement nécessaires à l’établissement des contributions foncières et mobilières, du timbre et des douanes. L’impôt direct devient la source principale de la fiscalité.
L’Assemblée Constituante vote ainsi en 1790-1791 la contribution foncière taxant les terrains, la contribution mobilière taxant la rente et le profit et la patente taxant les bénéfices commerciaux. Le Directoire ajoute en 1798 la taxe sur les portes et fenêtres (voir notre article) imposant les habitations selon le nombre de portes et de fenêtres, signe de la richesse de l’habitant, achevant ainsi un système retenu sous le nom des “quatre vieilles ” qui perdurera jusqu’en 1917.
Des taxes surprenantes feront leur apparition, comme la taxe sur les billards instituée en 1871. La fin du XIXème siècle sera aussi marquée par la création du taxe sur les chiens qui entrainera une véritable hécatombe chez ces canidés, sujet que nous avons traité dans un de nos articles.
> Naissance de l’impôt sur le revenu
Sous Louis XIV, le marquis Sébastien de Vauban avait proposé une dîme royale sur les revenus, dont le taux de prélèvement varierait de 5 à 10%. Mais son projet est enterré par Louis XIV.
En 1876, Gambetta ressort ce dossier et finalement c’est Joseph Caillaux, alors ministre des finances du gouvernement Clemenceau qui obtient le vote de ce nouvel impôt. Les débats sont musclés à la Chambre des députés qui finalement l’approuve le 9 mars 1909. Mais le Sénat le rejette.
Lors de élections législatives de mai 1914, Joseph Cailleux devenu chef de file du parti radical-socialiste revient à la charge tout en combattant la “loi Barthou” ou “loi des Trois ans” votée en 1913 qui augmentait la durée du service militaire de deux à trois ans en vue de préparer l’armée française à une guerre éventuelle avec l’Allemagne. La Droite se déchaîne contre une Gauche unie. Le journal le Figaro a pris la tête de l’opposition à l’impôt sur le revenu. Sous la plume de son directeur, Gaston Calmette, le quotidien a déjà publié plus de cent dix articles qui accablent Joseph Caillaux de tous les maux. Il menace aussi de publier des lettres intimes du couple Caillaux.
C’en est trop pour sa femme, Henriette Caillaux. Le 16 mars 1914, après le déjeuner, elle achète un revolver chez un armurier et rentre chez elle où elle laisse un mot à son mari :
« Mon mari bien-aimé, (…) Tu m’as dit que tu voulais lui casser la gueule, je ne veux pas que tu te sacrifies, la France et la République ont besoin de toi, je le ferai pour toi ».
Elle se présente au siège du journal et tue Gaston Calmette de 6 balles en disant :
« Je suis la femme du ministre des Finances » et ajoute « Je viens de faire justice ! Il n’y a plus de justice en France ! ».
C’est le premier des 3 coups de révolver qui vont précéder la première Guerre Mondiale.
Le second sera l’assassinat de Jean Jaurès, sujet que nous avons abordé dans un précédent article.
Le troisième sera bien sûr celui du 28 juin 1914, à Sarajevo, lors de l’assassinat du prince François Ferdinand d’Autriche, évènement qui déclenchera la première guerre mondiale.
Joseph Caillaux se retirera de la politique pour préparer la défense de son épouse lors de son procès. Elle sera acquittée et l‘impôt sur le revenu voté le 15 juillet 1914.
Un accord est finalement intervenu avec le Bloc des Gauches qui acceptent la loi Barthou en contrepartie du vote de ce nouvel impôt.
Dans son article 8, la loi précise :
« Chaque chef de famille est imposable, tant en raison de ses revenus personnels que de ceux de sa femme et des autres membres de la famille qui habitent avec lui ».
Un siècle plus tard, l’impôt sur le revenu des personnes physiques (IRPP) a grossi jusqu’à représenter en 2022 84 milliards d’euros. C’est 17 % des recettes fiscales de l’État mais à peine la moitié des recettes de la TVA, taxe à la valeur ajoutée instituée le 10 avril 1954.
> Et aujourd’hui ?
Une des vocations de l’impôt est bien de faire participer équitablement chaque citoyen au financement du bien public, éducation, santé, protection individuelle et collective.
Où en sommes nous en France, pays des Droits de l’Homme et système social basé sur la redistribution reconnu et envié ?
Force est de reconnaître que les choix politiques de ces dernières années ont réduit la participation des plus riches à l’effort de solidarité par l’impôt.
La réforme fiscale de 2017 privilégie clairement les intérêts des très riches au détriment des plus précaires. Résultat : depuis 2018, les inégalités sont reparties à la hausse, et la pauvreté aussi.
L’instauration de la flat tax qui limite la taxation des revenus financiers (les dividendes, les intérêts et les plus-values) à 30%.et la suppression de l’ISF (impôt sur la fortune) au début du quinquennat ont accentué cette tendance en diminuant de nouveau la participation des plus riches à notre système de redistribution.
Selon un rapport du Sénat c’est une perte de 4 milliards pour l’Etat par an. Le top 100 des contribuables qui payaient l’ISF a gagné en moyenne 1,7 millions d’euros chacun (1,2 million pour l’ISF et toujours 500.000 pour la flat tax) sans impact visible sur l’investissement, qui était pourtant la justification de la réforme.
Les plus pauvres quant à eux restent les grands perdants des mesures budgétaires depuis le début du quinquennat : ce sont les seuls à ne pas avoir vu, depuis trois ans, leur pouvoir d’achat augmenter significativement, selon l’Institut des politiques publiques. A l’autre bout de l’échelle, les 1% les plus riches continuent à creuser leur écart en voyant leur pouvoir d’achat augmenter de 4 462 euros par an.
En France, 7 milliardaires possèdent plus que les 30 % les plus pauvres, les 10 % les plus riches possèdent 50 % des richesses du pays.
Le PDG du groupe Sanofi, grand groupe pharmaceutique français, gagnait en 2018 plus de 343 fois le salaire moyen d’une aide-soignante.
> La cerise sur le gâteau
Je vous ai gardé le meilleur pour la fin.
L’OXFAM – Oxfam International (Oxford Committee for Famine Relief) – qui est une confédération d’une vingtaine d’organisations caritatives indépendantes à travers le monde s’est livrée à un petit calcul :
“Un exemple illustre parfaitement l’écart titanesque entre les plus fortunés et le reste de la population française.
Imaginez : vous vivez depuis la prise de la Bastille, le 14 juillet 1789 (oui, nous vous dotons d’une très longue vie !).
Depuis cette date, vous avez pu économiser 8.000 euros par jour (imaginez !). Aujourd’hui, plus de 84.200 jours plus tard, votre fortune s’élève à plus de 673 millions d’euros.
Et bien, malgré tout cela, cette fortune n’équivaudrait qu’à 1 % de celle de Bernard Arnault, l’homme le plus riche de France.
Sa richesse estimée ?
67 milliards d’euros ! Et ce n’est pas près de s’arrêter.En 2019, Bernard Arnault a été l’homme d’affaire qui a engrangé le plus de richesse dans le monde.”
© Oxfam International, janvier 2021
Pour être précis, il convient de corriger le calcul.
En effet, selon le barème FORBES 2023, la fortune de Bernard Arnaud se monterait désormais à 194 milliards d’euros (belle progression depuis 2021 à l’inverse des pâtes et du beurre en supermarché depuis cette date).
Il a ainsi dépassé Elon Musk et Jeff Bezos et possède donc la plus grande fortune au monde.