Peut-être vous est-il arrivé, lors de vos promenades dans Paris, de découvrir une enseigne sur une porte cochère. Et qu’elle éveille votre curiosité.
Commerce, atelier, fabrique ? C’est souvent un nom écrit en lettres dorées juste au dessus de l’entrée qui a attiré votre attention..
En voici un exemple au 234 Rue du Faubourg Saint-Martin dans le 10ème arrondissement. Au-dessus d’une large porte bleue on lit le nom “CLAVERIE“.
Savez-vous que nous sommes devant un immeuble classé monument historique. Il abritait une fabrique de corsets fondée en 1869 par Auguste Claverie dont les initiales se retrouvent au dessus de l’entrée.
Il y créa un corset au nom charmeur : “le Rêve”, construit dans un tissu élastique à la fois très solide mais aussi très souple et dont une bande de lin appelée batiste formait un ceinture enserrant la taille.
La boutique attenante à la fabrique a été fréquentée par les célébrités parisiennes telles que Joséphine Baker, Mistinguett ou Arletty.
Ici se tenait “le Temple du Corset“.
A l’intérieur, tout est resté intact : vitraux, escalier monumental en acajou, comptoirs et lustres en bronze doré.
Ce lieu a servi de décors au tournage du film « Le Viager », avec Serrault, Galabru et Brasseur et « L’Institutrice » de Claire Chazal.
Si le corset évoque un appareillage orthopédique pour redresser ou soutenir les faiblesses ou déformations de la colonne vertébrale, il a été surtout très utilisé par les femmes pour modeler leur corps.
Controversé, véritable appareil de torture, accusé de tous les maux, il a traversé les siècles, évoluant selon les modes poussant les femmes à mettre en valeur tour à tour leur poitrine, leurs hanches, les épaules ou leur taille.
En “sablier”, en “S”, à chaque époque, le corps de la femme a subi toutes les utopies pour attirer le regard des hommes et …. la jalousie des ses congénères.
Il faut tout d’abord se souvenir que le soutien gorge est récent. Inventé par une ouvrière féministe de 45 ans, Herminie Cadolle qui le présenta à l’Exposition Universelle de Paris de 1889 sous le nom de « corselet gorge » et de “Bien-être“.
> Le cestus chez les Grecs et les Romains
Mais qui a été à l’origine du fameux corset qui a fait souffrir tant de générations de jeunes filles et de femmes ? Remontons le temps jusqu’à l’antiquité où les historiens en trouvent la trace.
L’ancêtre du corset contemporain serait apparu pour la première fois sur l’île de Crète vers 1700 avant Jésus-Christ. Il affinait la taille et mettait la poitrine en valeur. On découvrit même une sorte de corset en plaques de métal, datant de 1800 avant Jésus-Christ.
On ne peut pas vraiment parler d’ancêtre du corset. Il n’empêche que déjà à cette époque où le culte du corps est bien présent dans ces civilisations, les femmes ont pris l’habitude d’utiliser des bandes qu’elles s’entourent autour de la taille pour soutenir et mettre en valeur leurs seins, soit pour les couvrir si ils sont trop imposants.
Ces bandes sont en tissu comme le Cestus ou en cuir tel le Mamillare pour les femmes à fort embonpoint chez les Romains. On retrouve le même principe chez les Grecs avec le Strophium, une sorte de fichu que les femmes enroulaient autour du corps pour soutenir la poitrine.
> De la ceinture romaine au corset de fer
Sous les Mérovingiens et les Carolingiens, les femmes continuèrent l’emploi des ceintures romaines.
Il faudra attendre l’époque de Philippe-Auguste (1179) pour voir les femmes adopter des tuniques amples. Les vêtements devinrent de plus en plus luxueux sous Louis XI.
Quelques années après, Philippe le Bel voulut empêcher les bourgeois de s’habiller aussi somptueusement que les nobles ; par une loi de 1302, il déclara : « nul bourgeois ni bourgeoise ne portera vair, ne gris, ne hermines,
et se délivreront de ceux qu’ils ont de Pasques prochaines en un an, et ne pourront ni porter or, ne pierres précieuses, ne ceintures, etc… ».
C’est Isabeau de Bavière qui fait naître la mode de se découvrir la poitrine, vers la fin du XIVème siècle. Pour la première fois apparait dans notre langue le mot corset.
Tout d’abord, les fabricants de corsets sont les corsetiers. Ce sont les hommes qui ont le monopole de ce marché jusqu’au règne de Louis XIV car la couture des baleines sur le tissu est difficile et nécessite des mains solides.
C’est en 1675 que les femmes obtinrent le droit de créer des corsets. On les appellent alors les corsetières.
C’est avec Catherine de Médicis et la Reine Elisabeth d’Angleterre que les normes du port du corset se définissent. L’épouse d’Henri II avait fixé à 33 cm le tour de taille. Une taille plus large était considérée comme une abomination. Pour y parvenir la femme devait porter le corset nuit et jour. C’est ainsi que le corset de fer est né.
Catherine de Médicis choisissait des dames de compagnie selon leur taille. Plus la taille était fine, plus la dame était considérée comme fiable.
Les corsets ont été longtemps fabriqués en fer, ce qui rendait le port du corset contraignant et douloureux. Certains sont exposés au musée de Cluny et au musée Carnavalet.
On imagine combien le port de ces corsets devait être pénible.
Plus tard, à l’époque des robes amples, des vertugadins (superposition de cerceaux en fer tenus par un socle en bois), à paniers dites robes à la française dont l’armature était large, ces corsets de fer serviront d’armature de soutien et éviteront à la femme qui les porte de crouler sous le poids de son habillement.
Sous Louis XIV, le corset se fait outil de séduction avec la gourgandine qui se lace sur le devant, véritable invitation à la découverte avec ses petits nœuds baptisés « boute-en-train » ou « tatez-y »…
> L’os de baleine envahit le corset
Peu à peu les corsets s’allègent pour être constitués de tissus renforcés d’attelles qui peuvent être en bois, en argent, en ivoire, en acier ou en côte de baleine, attelles insérées dans des fourreaux cousus dans le corsage. Les tissus sont empesés avec de la colle pour maintenir et lisser la silhouette.
Mais au XVIème siècle, un nouveau matériau servant à donner forme aux corps et aux vêtements s’est popularisé, à la faveur des découvertes de nouvelles pêcheries de baleines lors des grands voyages transatlantiques et des importations d’Italie et d’Espagne de soies et de velours somptueux qui réclamaient un maintien plus ferme. Il s’agit de l’os de baleine, également connu sous le nom de fanon.
Ce n’est en réalité pas du tout de l’os: c’est la kératine qui se trouve dans les mâchoires supérieures des baleines à fanon et qui sert à filtrer le plancton. Robuste mais flexible, on peut la couper en de très fines bandes. On les insérait dans la doublure des vêtements.
Un slogan de l’époque, se référant au corset, disait que :
” Les forts se maintiennent, les faibles se soutiennent et les perdus se ramènent”
> Le XIXème : le siècle du corset et des douleurs
Pour être une belle femme, il faut que “l’homme puisse entourer la taille de ses deux mains”.
Et c’est le début d’une torture pour toute une génération de jeunes filles et de femmes. De la puberté jusqu’à la vieillesse, le port du corset s’impose.
En 1860, sous le Second Empire, la France est la première puissance industrielle d’Europe et le textile constitue la plus grande industrie française. La demande envers le corset est tellement importante qu’il s’en vend 1 million par an à Paris. Il se réalise sur mesure ou peut s’acheter en confection. On trouve un large catalogue et dans le beau monde il est de bon aloi d’en posséder un pour chaque activité : pour le vélocipède, pour le cheval, pour la maison, pour le jardin, pour la baignade, pour les soirées, pour la calèche, pour le voyage. etc… On trouve même un corset pour le sport sans attelles et au tissu élastique.
Mais le port si serré du corset n’est pas sans conséquence pour les femmes qui le portent.
Souvent elles ne l’enlèvent qu’une heure, le temps de la toilette.
Elles le gardent la nuit et souvent même en période de grossesse. Aucune statistique n’existe mais il est fort probable que nombre d’avortements ou de naissances d’enfant anormal soit imputable au port du corset.
Les côtes flottantes sont compressées, les organes internes soumis à des déplacements anormaux, que se soient les poumons dont la compression anormale engendre des étourdissements ou les intestins écrasés ce qui entrainent des problèmes de digestion.
Un journal parisien de 1850 conte l’histoire d’une jeune femme qui portait un corset si serré qu’elle mourut lors d’une danse, une côte lui ayant perforé le foie.
Des voix s’élèvent pourtant contre ces pratiques. Tel Charles Dubois en 1857 dans son livre “Considérations sur cinq fléaux” :
” Malgré l’expression de la plus haute raison, les démonstrations les plus savantes d’une science positive et l’éloquence de beaucoup d’auteurs qui ont signalé avec force les dangers de l’abus du corset, une infinité de femmes et de jeunes filles ne s’en compriment pas moins la taille avec une émulation déplorable, c’est-à-dire de la manière la plus nuisible à leur santé et à leur avenir , en outrageant la nature. N’en voyons nous pas à chaque instant qui s’habillent comme des poupées pour se donner, sans qu’elles s’en doutent, des maladies chroniques ou incurables dont elles n’auraient jamais dû être atteintes ?
Pour être fanées, vieilles bien avant le temps et mourir vingt, quarante ans, ou même plus, avant le terme naturel ?”
En 1887, un article du Docteur Robert Dickinson dans le New York Medical Journal dénonce les malformations et les souffrances que le corset impose aux femmes.
Le corset a vécu jusqu’au début des années 1900 et a disparu après la seconde guerre mondiale. Il sera bien entendu remplacé par le soutien gorge et la gaine.
> Le corset aujourd’hui
De nos jours le corset reste synonyme de sensualité.
Si il est aujourd’hui une pièce incontournable du monde BDSM (« Bondage, Domination, Soumission, Sado-Masochisme ») , des chanteuses célèbres se le sont approprié avec le concours de couturiers de renom.
C’est notamment le cas de Madonna, l’icône de la pop, qui avait fait sensation en apparaissant plus envoûtante que jamais dans un sublime corset Haute Couture signé Jean Paul Gaultier.
Tiens, je vous livre une information : pour agrémenter vos soirées, vous pouvez désormais louer ce corset porté par Madonna lors de sa tournée Blond Ambition en 1990, référence absolue aujourd’hui, ou d’autres créations de Jean-Paul Gauthier soit plus de 30.000 pièces vintage pour un service de location en ligne.
Niveau prix, il faut compter environ 150 euros pour un foulard, 700 euros pour une robe.
Pour le corset de Madonna, probablement un peu plus.