Nous avons déjà évoqué cette coutume de combattre par les armes dans notre article sur les îles disparues de Paris.
L’île Maquerelle dont l’origine est “ma querelle” tirait ce nom d’une de ses fonctions : accueillir ceux qui estimant leur honneur bafoué entendaient réparer cet affront par un combat à l’épée ou au pistolet.
Savez-vous que cette pratique a perduré jusqu’en 1965 ?
Vous serez sûrement étonnés d’apprendre qui furent ces derniers duellistes. Mais nous y reviendrons.
Sans vouloir faire un historique exhaustif des diverses formes du duel à travers les époques, il est intéressant d’en revivre les principales étapes.
> Le serment des Horaces, premier duel de l’Histoire
Vous connaissez ce tableau de David de 1785 que l’on peut admirer au Louvre : “le serment des Horaces“. Il retrace le combat des Horaces et des Curiaces.
Nous sommes environ en l’an 600 avant Jésus-Christ. Rome et Albe-la-Longue sont en guerre et pour éviter de verser le sang des troupes, les deux villes décident que 3 soldats de chaque ville se combattront, les Horaces pour Rome, les Curiaces pour Albe-la-Longue.
C’est le premier duel de l’histoire, rapporté par Tite-Live. Deux Horaces sont rapidement tués et les 3 Curiaces blessés. Le dernier Horace s’enfuit, poursuivi par les 3 Curiaces que leur blessure ralentit. Mais cette fuite est une ruse du Romain qui en profite pour les tuer tous les 3, les uns après les autres. Rome sortira donc vainqueur de ce combat.
> Dieu au secours de la justice mais l’Eglise n’aime pas ça
A l’époque du Moyen-Age on assiste à un nouveau type de duel : le duel judiciaire.
Issu du droit germanique, cette procédure avait comme objectif de solder les litiges ou les procès pour lesquels l’absence de témoins ou d’aveux ne permettait pas de les résoudre.
Un duel ou combat judiciaire était alors organisé entre les deux parties. C’était un duel à mort. Le vainqueur du combat était alors considéré comme désigné par Dieu. Chacune des parties pouvait avoir recours à un “Champion” pour le remplacer dans ce duel.
Mais si certains historiens considèrent le duel judiciaire comme une forme d’ordalie bilatérale, il était très encadré et n’avait lieu que lorsque toutes les voies juridiques avaient été épuisées. L’Eglise, quant à elle, voyait d’un mauvais œil que les juges aient recours au divin pour solutionner ses litiges.
L’ordalie ou “jugement de Dieu” était une forme de procès à caractère religieux. Elle reposait sur la croyance que Dieu savait si la personne était innocente ou coupable. Surtout pratiquée au début du Moyen Age, elle prenait des formes diverses. Par exemple lors de l’ordalie par le feu, l’accusé devait tenir dans sa main une barre de fer rougie et faire ainsi 9 pas. On bandait ensuite cette main et 3 jours plus tard, on regardait la plaie. Si la plaie était belle, cela prouvait l’innocence de l’accusé. Dans le cas inverse, plus la plaie était vilaine, plus la sentence allait être sévère.
Une expression est restée dans le langage populaire : “En mettre sa main au feu“.
Un duel judiciaire célèbre ordonné par les seigneurs du Parlement et approuvé par le roi Charles VI aura lieu le 29 décembre 1386 à Paris. Il opposera Jean de Carrouges à Jacques le Gris, le premier accusant le second d’avoir violé sa femme alors qu’il était en voyage.
Il est intéressant de noter qu’à l’époque, ce n’est pas la femme qui est déshonorée par un tel acte mais son mari. Pire, le viol rabaisse la femme noble au rang de catin. La femme n’a pu dénoncer son viol qu’avec l’accord de son époux. Et si son mari est tué lors du combat, ce jugement de Dieu l’enverra au bûcher pour parjure.
Heureusement pour elle, Jean de Carrouges tue Jacques le Gris. Dieu a jugé.
Cette histoire inspira Ridley Scott qui a réalisé le film en 2021 “The last duel” (le dernier duel) avec Matt Damon. Il ne s’agira pourtant pas du dernier duel judicaire. Celui ci aura lieu le 10 juillet 1547 et opposera Guy Chabot de Jarnac à François de Vivonne.
> La réparation par les armes
Un nouveau type de duel lui succède : le duel au premier sang.
Il apparait dans la noblesse de l’époque dès Henri IV.
Après un affront, l’offensé demandait réparation à l’offenseur. Si ce dernier ne s’excusait pas ou refusait de se rétracter, l’offensé lui jetait son gant. Si l’adversaire le ramassait, cela signifiait qu’il acceptait de régler le différent par les armes en duel.
On nommait alors des témoins et on choisissait les armes, au début l’épée puis plus tard le pistolet. Majoritairement le combat était arrêté à la première goutte de sang versée mais le blessé pouvait souhaiter poursuivre le duel. Souvent les témoins arrêtaient le combat mais sous Henri IV on comptera plus de 10 000 duels dans lesquels 4 000 à 5 0000 participants y laissèrent leur vie.
> Le plus long duel de l’histoire
Là encore c’est le premier long métrage de Ridley Scott – The Duellists de 1977 qui s’inspire de l’histoire de François-Louis Fournier-Sarlovèze dit “El Demonio” (le Démon) et de Pierre Antoine Dupont de l’Etang.
A l’origine, Pierre Antoine Dupont organisant une soirée refuse que Fournier réputé assez violent y assiste. Celui ci le provoque en duel. Le premier blessé s’écrit “première manche !“. Les 2 militaires décident alors d’écrire une chartre précisant qu’à chaque fois qu’ils se trouveront à 30 lieux l’un de l’autre, ils s’organiseront pour se rencontrer en duel. Ces deux hommes se battront ainsi en duel une vingtaine de fois en 19 ans jusqu’à ce que Dupont décide de se marier. Il propose alors un duel au pistolet dans un bois. A la suite à d’une ruse, il se trouve face à Fournier qui a déjà tiré ses deux balles et il lui dit “c’est bon cette fois je pourrais te tuer, j’ai ta vie entre mes mains, je décide donc que j’ai gagné”.
> De Proust à Manet en passant par Clémenceau
Savez-vous que Clémenceau participa à 12 duels et fut 35 fois témoins ?
Des personnalités sont nombreuses à avoir croisé le fer ou fait feu : Lamartine, Alexandre Dumas, Léon Blum, Jules Ferry, Aristide Briand, Raymond Poincarré et même Marcel Proust.
La fin du XIXe siècle et la Belle Époque sont un véritable « âge d’or » des duels ! On en arrive à se battre pour une futilité. Chatauvillard publiera même en 1836 un code du duel.
Manet, vexé par la critique d’un de ses amis, Louis Edmond Duranty, le gifle au visage et le provoque en duel. Le combat a lieu à l’épée. Manet qui a comme témoin Emile Zola, blesse Duranty à la poitrine.
Le 3 février 1897, Jean Lorrain assassine le nouveau roman de Proust “Les Plaisirs et les jours“ et termine son article du “Journal” par ces mots “soyez sûrs que, pour son prochain volume, M. Marcel Proust obtiendra sa préface de M. Alphonse Daudet, de l’intransigeant M. Alphonse Daudet, lui-même, qui ne pourra la refuser, cette préface, ni à Mme Lemaire ni à son fils Lucien”. Homosexuel lui-même, il fait allusion à la relation que Proust entretient avec le fils d’Alphonse Daudet, Lucien. C’est est trop pour Marcel Proust ! Il est fou de rage et provoque Jean Lorrain en duel.
Marcel Proust est pourtant chétif, de santé fragile et asthmatique mais il dira plus tard : “On peut avoir peur de ne pas dormir et nullement d’un duel sérieux, d’un rat et pas d’un lion.”
Les deux hommes se retrouvent avec leurs témoins 3 jours plus tard dans la forêt de Meudon. On raconte qu’un jeune amant de l’écrivain se jette à son cou en le suppliant de renoncer. Proust ne l’entend pas de cette oreille. N’a-t-il pas été traité de “chochotte” ? Lorrain est sûrement jaloux de sa réussite.
Les deux hommes se font face. Mais, d’un regard, Proust et Lorrain s’entendent pour tirer dans le sol. On est entre hommes de littérature. Proust sera toute sa vie très fier de ce fait d’armes.
> Le dernier duel en 1967
C’est une anecdote savoureuse que vous connaitrez désormais.
Lors d’une séance à l’ Assemblée Nationale, le ton monte entre le député-maire socialiste de Marseille Gaston Deferre et le député gaulliste René Ribière. Deferre lance à Ribière “taisez-vous abruti !”. La polémique est tellement montée en épingle par la presse que Ribière se sent humilié et provoque en duel le député maire de Marseille.
Ni Jacques Chaban-Delmas, président de l’Assemblée nationale, ni Georges Pompidou, Premier ministre, ni même le général de Gaulle, président de la République ne réussiront à résoudre à l’amiable le conflit. Rien n’y fait et les deux hommes se retrouvent dans une résidence privée à Neuilly pour un duel …. à l’épée !
Gaston Deferre qui a pratiqué l’escrime dans sa jeunesse est plus habile et blesse une première fois son adversaire au bras. Celui-ci ne s’avoue pas vaincu et demande qu’on poursuive le combat. Blessé une seconde fois, le duel sera arrêté. Il aura duré 4 minutes et aura même été filmé. Il est en accès libre sur internet via ce lien.