La gare de Montparnasse que nous connaissons aujourd’hui est une des 6 gares parisiennes. On l’appelait à son origine la gare de l’Ouest. La loi du 9 juillet 1836 autorise l’établissement d’un chemin de fer de Paris à Versailles par la rive gauche. C’est la compagnie de chemin de fer de Paris à Versailles Rive gauche fondée par l’ordonnance royale du 25 août 1837 qui a en charge la réalisation et l’exploitation de cette ligne.
Mais la compagnie ayant de graves difficultés financières se voit allouer un prêt à la condition d’installer le terminus à la barrière du Maine, à l’extérieur des Murs des Fermiers Généraux. La ligne est en concurrence avec une autre compagnie qui dessert elle aussi Versailles mais par la rive droite.
Par décret du 27 février 1848, le gouvernement qui tente en vain d’obtenir la fusion des deux compagnies, lance les travaux de construction d’« une gare de chemin de fer de l’Ouest », située entre le boulevard du Montparnasse et le mur des Fermiers Généraux rapidement appelée gare du Mont-Parnasse. Finalement c’est la loi du 13 mai 1851 qui donne naissance à la Compagnie des chemins de fer de l’Ouest, laquelle convient de poursuivre les travaux sur la nouvelle gare.
Elle sera mise en service en juillet 1852 et comptera 3.700.000 voyageurs en 1884 puis 4 millions en 1885.
Cette gare sera détruite en 1969 et remplacée par celle que nous connaissons aujourd’hui et qui a accueilli plus de 56 millions de voyageurs en 2022.
Mais l’anecdote qui nous intéresse est l’accident spectaculaire qui se produisit dans cette ancienne gare en octobre 1895 et dont la photo ne vous est sûrement pas inconnue.
> “Un accident inouï, invraisemblable et tel qu’on en avait jamais encore vu à Paris” titre le Parisien
Comme toutes les gares parisiennes, les voies se terminent en cul de sac.
Nous sommes le 22 octobre 1895. Le train n°56 est parti de Granville à 8h45 et il est attendu à 15h55 sur la voie 6 de la gare Montparnasse.
Le train est passé à Versailles avec 7 minutes de retard et 122 personnes ont pris place dans les wagons, 30 en première classe et 92 en seconde.
Tout se passe bien lorsque la locomotive à vapeur n° 721 de type 120 entre dans Paris et aborde les passages à niveaux et les aiguillages.
Ce train est composé derrière la loco d’un tender, de deux fourgons à bagages, d’un wagon postal et dix voitures de voyageurs dont une voiture salon occupée par la famille du gouverneur du Crédit Foncier et un dernier fourgon à bagages.
Aux commandes du train, le chauffeur Victor Granier, 47 ans. A son côté le mécanicien Guillaume Pellegrin, 35 ans.
Si tout fonctionne normalement aux passages des aiguillages, le convoi ayant déjà bien ralenti son allure, lors du passage à niveau de la rue du Château, le mécanicien s’aperçoit que le frein ne répond plus.
Pellegrin “siffle au frein“, et déclenche la trappe qui libère du sable sur les rails pour freiner le convoi.
Le chauffeur inverse la vapeur.
Averti par ce signal, le conducteur arrière situé dans le wagon de queue manœuvre les freins de secours.
Le train entre quand même dans la gare à une vitesse estimée plus tard à 40 km heure.
S’approchant du butoir de fond de voie sur lequel travaillent des ouvriers qui s’enfuient en courant quand ils remarquent la vitesse anormale du train, le mécanicien et le chauffeur sautent sur la voie, l’un deux se blessant au poignet dans sa chute.
La locomotive pulvérise le butoir puis le mur et la vitrine de la gare situés au dessus du Buffet de la Gare dont les occupants croient leur dernière heure arrivée.
L’énorme machine et son tender chutent sur la Place de Rennes et restent pendus dans le vide.
Dans les wagons, les voyageurs ont été un peu secoués mais on ne déplore aucun blessé, les wagons de bagages ayant amorti le choc.
Par contre, une vendeuse de journaux présente sur la place a été tuée sur le coup par la chute des pierres du mur de la gare avant d’avoir son corps déchiqueté par le poids de la locomotive.
Le Préfet Lénine arrivé sur place mobilisera 400 gardiens de la paix, 200 gardes municipaux et 20 gardes à cheval pour bloquer les rues et sécuriser les lieux de l’accident avant les constatations du parquet. Les gardiens confieront au journal le Parisien s’être servi des barrières qu’ils utilisaient habituellement pour les exécutions capitales publiques.
> Un relevage périlleux
Les journaux de l’époque firent de cet accident la une de leur publication avec des titres un brin moqueur.
“Une locomotive en fuite – Promenade d’une machine dans la rue ” titra “Le Matin” du 23 octobre. Pour “l’Eclair” le même jour : « Un train est tombé par la fenêtre dans la rue ! ».
Les badauds affluèrent, certains n’hésitant pas à acheter des billets pour de courts trajets qu’ils ne firent pas, n’ayant comme objectif que d’approcher le lieu de l’accident.
Si le tender avait été solidement amarré, l’opération était plus complexe pour la locomotive d’un poids de 50 tonnes.
Les ingénieurs proposèrent de bâtir un escalier en madriers pour faire descendre la machine mais cinquante hommes puis une quinzaine de chevaux échouèrent.
Ce n’est que le 25 octobre que l’opération réussit avec le concours d’un énorme treuil et de puissants vérins. La locomotive fut hissée sur un chariot trainée par 25 chevaux. Elle n’avait en fait subi que peu de dommages.
> Les condamnations
Bizarrement le juge ne chercha pas de responsabilité dans le fonctionnement du frein, considérant que les textes en vigueur imposaient au mécanicien d’adopter une vitesse réduite à l’approche de la gare.
Le 31 mars 1896, le tribunal, reconnaissant qu’« il existe en sa faveur des circonstances très atténuantes », condamna pour homicide et blessures par imprudence le mécanicien à deux mois de prison avec sursis et 50 francs d’amende. La faute « des plus légères » du conducteur de tête lui valut symboliquement 25 francs d’amende avec sursis.