Nous sommes en septembre 1792 sous la Révolution.
Des massacres ont eu lieu dans les prisons où des centaines de détenus, aristocrates, membres du Clergé désignés comme traitres ont été éliminés à l’issue de jugements sommaires.
C’est aussi l’occasion pour libérer bon nombre de brigands. Parmi eux, un dénommé Paul Miette, 35 ans, qui va profiter du chaos ambiant pour organiser le casse du siècle.
> Le Garde Meubles s’installe place Louis XV
La place Louis XV (notre actuelle Place de la Concorde) a remplacé des terrains marécageux souvent inondés par la Seine toute proche. Elle vient prolonger le Jardin des Tuileries et est désormais bordée de deux palais jumeaux qui encadrent la Rue Royale au nord de la Place.
A la construction de la place en 1785, les façades de ces bâtiments ne sont que des décors. Il n’existe aucun bâtiment à l’arrière. Les Champs Elysées ne sont à l’époque qu’un espace boisé mal famé où trainent brigands et prostituées.
En 1792, les deux bâtiments ont été construits derrière les façades. L’un est prévu pour abriter l’Hôtel des Monnaies, projet abandonné par la suite et le second que nous connaissons aujourd’hui comme l’Hôtel de la Marine abrite désormais le Garde-Meuble.
Cette institution a la charge de la conservation des meubles, bijoux et apparats royaux. Elle abrite surtout les Joyaux de la Couronne constitués en 1530 par François 1er. Cette collection qui compte selon son inventaire 9 547 diamants, 506 perles, 230 rubis et spinelles, 71 topazes, 150 émeraudes, 35 saphirs et 19 pierres est estimée à 23 922 197 livres soit près de 700 millions d’euros.
Chaque lundi les parisiens peuvent visiter le Garde Meuble et le soir, à la fermeture, des scellés sont apposées sur les portes des salles qui abritent les Joyaux de la Couronne.
On pourrait penser qu’un tel trésor est constamment gardé par des soldats vigilants. En réalité, il n’en est rien et même si le responsable des gardes sollicite en vain depuis des mois des renforts pour surveiller les locaux et les deux entrées du bâtiment Place Louis XV et rue saint Florentin, on note une forte propension des gardiens à l’absentéisme et la boisson.
> Le vol des Joyaux
Paul Miette a profité de ces visites pour repérer les lieux. Ayant facilement constitué une bande avec ses relations faites à La Force (voir notre article) , le soir du 11 septembre 1792 les brigands passent à l’action. Une équipe de seconde main est déguisée en gardes nationaux et fait le guet alors que 6 hommes se hissent à l’aide de cordes sur la terrasse du Garde Meuble. Un volet est fracturé, une vitre découpée au diamant. Les voleurs font une première razzia sur les bijoux et parmi les 700 kilos d’or que renferme le Trésor Royal.
Le plus surprenant c’est que les voleurs vont revenir le lendemain et les jours suivants. C’est le second jour que disparaissent le “Régent” et le “Bleu de France“.
Le “Régent” est un diamant de 144 carats qui est considéré comme le plus pur et le plus beau au monde. Il a été porté par Louis XV et Louis XVI lors de leur couronnement et Marie Antoinette aime l’arborer lors des cérémonies de la Cour. Louis XVI portait d’ailleurs le Régent à l’ouverture des Etats Généraux.
Le “Diamant Bleu“ est la seconde pièce maitresse des Joyaux de la Couronne avec ses 72 facettes et ses 69 carats. Il reste encore aujourd’hui le plus gros diamant bleu trouvé dans le monde.
Mais revenons à nos voleurs. Il semble que de plus en plus de brigands soient au courant qu’il y a désormais moyen de s’emplir facilement les poches au Garde Meubles car le nombre des malfrats augmente. La bande de voleurs estime même qu’il n’est plus nécessaire de mettre en place une fausse patrouille de gardes nationaux et n’hésite pas à apporter des victuailles que tous consomment sur place. Certains écrits évoquent même la présence de prostitués venues du cloaque des Champs Elysées.
Mais, alors qu’ils sont regroupés sur les bords de Seine, près du palais Bourbon, pour faire entre eux la répartition du butin dérobé, les brigands sont dérangés par un individu porteur d’une lanterne. Ils s’enfuient alors mais perdent une boîte de bijoux qu’un certain Antoine Leblond découvre au matin.
La boîte contenait dix-sept rubis, neuf topazes et un grenat auxquels il convient de rajouter dix perles, un brillant, trois topazes et un rubis, ramassés un quart d’heure plus tard.
Après avoir imaginé un temps vendre les pierres, le sieur Leblond se rend auprès du Commissaire Letellier de la section du Pont Neuf. A la vue des bijoux, ce dernier s’enquiert auprès du Garde Meubles. Mais les gardiens ayant vérifié que les scellés sont toujours intacts sur la porte, ne poussent pas plus avant leurs investigations.
Le lendemain, les voleurs reviennent une nouvelle fois. Ils sont désormais plus de cinquante, hommes et femmes.
Mais lorsqu’ils quittent les lieux leur bruit attire une patrouille. Un retardataire, Joseph Douligny, 23 ans sans profession, chute d’un lampadaire lourdement sur le sol et se casse la jambe. Il est aussitôt arrêté ainsi qu’un autre complice, Jean-Jacques Chambon 26 ans, valet de chambre sans emploi, revenu sur les lieux peu après .
Le vol est découvert. Les gardiens entrent dans la salle et constatent au milieu des restes de ripaille que les vitrines sont éventrées et vides.
Les deux hommes parleront pour sauver leur peau et très vite des complices seront arrêtés. Une grande partie des Joyaux de la couronne sera retrouvée dont notamment le “Régent”.
Pour l’exemple, des condamnations à mort seront prononcées mais le tribunal sursoira à leur exécution pour permettre de poursuivre l’enquête, trouver les complices et récupérer les pierres précieuses et des pièces du Trésor Royal.
Paul Mielle qui vient d’acheter comptant une maison au 20, rue Belleville est arrêté et condamné à mort.
Sur la “Liste générale et très-exacte des noms, âges, qualités et demeures de tous les conspirateurs qui ont été condamnés à mort par le tribunal révolutionnaire établi à Paris par la loi du 17 août 1792”, on note son nom sous le numéro 35 juste avant une dénommé “Louis XVI dit CAPET”.
> Guillotinés pour l’exemple
Les révolutionnaires guillotineront plusieurs des accusés sur la place Louis XV face au Garde Meubles où sera désormais installée la guillotine. Mais ceux qui passent sous le couperet de la machine à Guillotin ne sont que des seconds couteaux, des receleurs : Louis Lyre, juif anglais, âgé de 28 ans, Joseph Picard, 29 ans, et une femme, Anne Leclerc, 24 ans – probablement la première femme guillotinée sous la Révolution. Melchior Cottet qui avait fait le guet déguisé en garde sera aussi décapité.
On doit s’étonner que le “tribunal criminel du 17 août” (du nom du jour de sa création) ait condamné à mort des hommes et des femmes dont le seul délit relevait de vol commis, en plus ,sans violence. Le Code Pénal en vigueur, c’est-à-dire le décret des 25 Septembre-6 Octobre 1791, punissait le vol sans violences de la peine des fers. La peine des fers était celle des travaux forcés au profit de l’Etat. Les condamnés traînaient à l’un des pieds un boulet attaché avec une chaîne de fer. Ils subissaient au préalable l’exposition publique pendant six heures.
Appliquer cette disposition pénale à la peine de mort prononcée pour crime de complot contre l’Etat, c’était commettre un déni de justice d’une telle ampleur qu’on pouvait le qualifier de crime judiciaire. Si on pensait que les voleurs du Garde-Meuble étaient réellement coupables de complot contre la sûreté de l’Etat, il fallait au moins en apporter la preuve. On ne s’en soucia guère, malgré qu’on ait pris soin d’en faire l’objet de la première question posée au jury. On se contenta de l’affirmer, et les jurés suivirent, naturellement.
« A-t-il existé un complot, formé par les ennemis de la patrie, tendant à enlever à la nation, de vive force et à main armée, les bijoux, diamants et autres objets de prix déposés au Garde-Meuble, pour les faire servir à l’entretien et aux secours des ennemis intérieurs et extérieurs conjurés contre elle ? ». Telle était la question posée aux jurés.
Une réponse positive conduisait directement l’accusé à la guillotine en application de la loi « Toutes conspirations et complots, tendant à troubler l’Etat par une guerre civile en armant les citoyens les uns contre les autres ou contre l’exercice de l’autorité légitime, seront punis de mort. »
> Sauvés par la cassation
Doligny, Chambon et Miette eurent la chance de comparaitre devant le tribunal criminel le 30 novembre, dernier jour avant sa suppression et comme le recours en cassation venait d’être institué, on leur conseilla de saisir cette juridiction.
Leur condamnation à mort fut cassée en février et mars de l’année suivante.
Ils furent alors rejugés à Beauvais. Aussi incroyable que cela puisse paraître et témoignage s’il en faut de son intelligence, Paul Miette réussit à prouver son innocence et fut acquitté le 15 mai 1793. Il reprit possession de sa maison et devint vendeur de vin.
Le 17 mai, Chambon fut lui aussi acquitté. Il avait réussi à établir qu’il n’avait pas pris part au vol du Garde-Meuble quoiqu’arrêté sur les lieux. C’est lorsqu’il passait que la bande qui attendait au pied de l’immeuble le résultat de l’expédition, l’avait forcé à se joindre à elle et à prendre des bijoux.
Douligny fut condamné à seize ans de fers avec exposition publique de six heures à Paris.
> L”ombre de Danton
Voilà l’histoire de ce curieux casse qui fit couler beaucoup d’encre. Certains évoquèrent Danton comme véritable instigateur de l’opération, ayant voulu revendre les pierres pour soudoyer le duc de Brunswick afin qu’il laisse la victoire à la France lors de la bataille de Valmy.
Après deux années d’enquête, les 3/4 des pièces sont récupérées. Il manque les joyaux de la Toison d’Or, probablement emportés à Londres par les voleurs du 1er soir, l’épée de diamant de Louis XVI, la chapelle de Richelieu et le fameux diamant bleu dont je vous raconterai ce qu’il est devenu dans un prochain article.
Sous la IIIème République, l’Etat décidera de vendre aux enchères une partie des Joyaux de la Couronne et attribuera une partie des pièces au musée du Louvre en exigeant que les pierres précieuses dont le fameux diamant “Le Régent” soient exposées dans la Galerie Apollon où elles se trouvent encore, admirablement mises en valeur depuis la restauration de la galerie.