Les ravages de yersinia pestis

You are currently viewing Les ravages de yersinia pestis

Il faut reconnaître que nous autres, humains, avons un insolent travers à nous croire protégés des fléaux qui ont pourtant décimé des populations entières lors des siècles passés.
En cela, la pandémie de COVID nous aura brutalement ramené à la raison.
Qui d’entre nous aurait imaginé un confinement généralisé ?
Rappelons nous les premiers mois où nous étions contraints à une courte sortie journalière limitée à notre quartier et à stocker nos achats alimentaires dans l’entrée 24h avant de les ranger.
Une société tout à coup stoppée et obligée de s’adapter aux contraintes de l’épidémie, trouvant certes des aménagements avec une rapidité surprenante, mais inquiète sur la capacité de notre médecine à traiter les malades.
Souvenons nous de la réquisition des chambres froides pour stocker les corps des nombreuses victimes des premières semaines et combien nous suivions avec angoisse la progression de la courbe des décès.
Avec du recul, même si nous avons trouvé le temps bien long avant l’apparition des premiers vaccins, il faut reconnaître que jamais un traitement n’avait été développé aussi rapidement.
La pandémie du COVID nous aura ainsi ramené à la réalité et surtout fait toucher du doigt combien nos ancêtres pouvaient être impuissants face aux épidémies qui ont décimé leurs proches.

C’est notamment le cas des épidémies de peste dont le responsable, “yersinia pestis“, n’a été découvert qu’en 1894 par un jeune médecin franco-suisse dont on a trop facilement oublié le nom : Alexandre Yersin.

Alexandre Yersin

Quelques années plus tard, il mettra au point le vaccin qui éradiquera enfin ces épidémies répétées de peste.

> Le rôle important des transports dans la transmission des épidémies

Christophe Colomb et bien d’autres navigateurs et leurs embarcations ont été malgré eux les vecteurs de maladies dont les ravages sont désormais bien connus.
Le découvreur de l’Amérique a apporté dans ses cales la variole. Nombre d’indiens dont la population ne possédait pas d’anticorps contre cette maladie ont été décimés. Mais en échange – si l’on peut dire – Christophe Colomb a ramené de ses expéditions une autre maladie qui s’est répandue comme une trainée de poudre en Europe : la syphilis.
Cette maladie que l’on croyait éradiquée fait d’ailleurs actuellement une réapparition inquiétante aux Etats Unis et en Europe.

La variole pour les Indiens et la Syphilis pour les Européens

Nous savons à quelle vitesse les migrations des populations, facilitées aujourd’hui par les moyens de transports modernes, rendent le combat difficile lors d’une nouvelle pandémie.
Dans le cas de la peste, en 1347, c’est un bateau amarré dans un port méditerranéen qui va libérer l’un des agents pathogènes les plus meurtriers de l’Histoire : yersinia pestis.
Des passagers clandestins s’échappent alors du bateau : des rats noirs infestés de puces porteurs de la peste bubonique
Tel un cataclysme, ce scénario va se répéter dans plusieurs ports européens et va décimer les populations à une échelle peu connue jusqu’alors.
Le point de départ de l’épidémie serait vraisemblablement le grand port commercial de Caffa en Crimée géré par des marchands de Gênes.
Des écrits rapportent qu’en 1346, le port était assiégé par les Mongols dont les soldats étaient déjà largement infectés.
Les Mongols auraient jeté des cadavres pestiférés par dessus les murs.
Il est plus probable que ce soient les rats infestés de puces qui aient contaminé la population de la ville, les Génois rapportant ensuite en fuyant l’épidémie en Italie.
De 1347 à 1351, au moins un tiers de la population européenne va mourir des suites de ce que l’on a plus tard appelé la peste noire.
Les textes mentionnent 25 à 40 millions de morts en Europe.
En France, la terrible peste noire débarque à Marseille en novembre 1347.
Le 20 août 1348, elle se déclare à Paris et y fait des ravages : 50.000 à 80.000 personnes décèdent, soit un gros tiers de la population parisienne. 

> 2 à 3 semaines d’incubation puis la mort en quelques jours.

La bactérie responsable de la peste est transportée par les puces proliférant sur les rats.
Les bacilles se multiplient dans l’intestin de la puce. Quand la puce mord son hôte, elle régurgite les bacilles dans le corps de ce dernier, l’infectant. 
Normalement, cela se produit dans un cycle fermé entre les puces et les rongeurs. Mais dans des conditions particulières, la multiplication est si intense qu’elle tue son hôte, ce qui l’invite à trouver un nouvel hôte : l’homme. On parle alors de zoonose, maladie qui passe donc de l’animal à l’homme.
Le rat étant attiré par l’activité humaine, il fréquente les moulins, les caves, les granges et les maisons.
La transmission à l’homme se serait faite par l’intermédiaire de ces puces de rats, puis des puces humaines.
La période d’incubation peut aller jusqu’à 3 semaines.
Les premiers symptômes étaient un gonflement des ganglions lymphatiques (bubons d’où le terme de peste bubonique) souvent au niveau de l’aine car les piqûres de puces touchent plutôt les membres inférieurs. Vient ensuite la fièvre, le malade décèdant en quelques jours.

> Les remèdes de l’époque

Devant l’ampleur de l’épidémie, les villes engagent des médecins appelés “docteurs de la peste“. Ce sont souvent de jeunes médecins peu expérimentés.
Ils ont aussi la mission de recenser les décès.
Le contact avec les malades entrainera un nombre élevé de décès parmi eux.
Leurs médications sont originales.
Pour eux, la peste est une pourriture des humeurs due à un poison transmissible par air ou par contact. Ce poison est un principe de corruption provenant des profondeurs de la terre (substances en putréfaction), qui s’élève dans l’air, à la suite d’un phénomène « météo-géologique » (tremblement de terre, orages…) ou astronomique (passage de comètes), et qui retombe sur les humains.
Par exemple, ils conseillent d’appliquer des grenouilles sur les bubons pour “rééquilibrer les humeurs”. Ils utilisent une canne à long manche dite canne de Saint Roch pour examiner les malades et cautériser les ganglions infectés.
Pour d’autres, le mal n’est que la vengeance de Dieu. Les Juifs plus particulièrement en feront les frais. On assistera dans plusieurs villes à des exécutions sommaires. Certains, plus malins, pousseront à ces représailles – les juifs étant souvent des banquiers. Ils trouvaient là une astucieuse façon de ne plus rembourser leur prêt.

On représente souvent le médecin de la peste avec un masque en forme de bec.
En fait, ce costume a été imaginé par Claude Delorme, médecin de Louis XIII en 1619, soit bien après la peste noire de 1348.

Médecin durant une épidémie de peste à Rome au XVIIe siècle (gravure de Paul Füerst, 1656)

« le nez long d’un demi pied (16 cm) en forme de bec, rempli de parfums n’a que deux trous, un de chaque côté à l’endroit des ouvertures du nez naturel ; mais cela peut suffire pour la respiration et pour porter avec l’air qu’on respire l’impression des drogues renfermées plus avant le bec. Sous le manteau, on porte des bottines, faites de maroquin (cuir de bouc et de chèvre) du levant, des culottes de peau unie qui s’attachent aux dites bottines et une chemisette de peau unie, dont on renferme le bas dans les culottes, le chapeau et les gants sont aussi de même peau… des bésicles sur les yeux ».

Des épices et autres herbes aromatiques sont tassées dans ce bec, les médecins croyant la transmission par voie aérienne, comme c’est effectivement le cas dans la peste pulmonaire, mortelle à 100 %.
Par contre la carapace épaisse en cuir que constituait le manteau du médecin s’avéra être une véritable protection, totalement empirique car à l’époque on ne connaissait pas le mode de transmission de la maladie par les puces.

Sur une ordonnance datant de l’époque de la peste noire, on découvre ce que les médecins recommandaient.

Ordonnance de Maistre Chrétien, médecin spécial du Roi

Pour les ganglions, le remède est la saignée immédiate.
Les bien portants doivent éviter la fatigue et tremper les légumes et les fruits dans du vinaigre.
Pour les plus jeunes, une saignée est conseillée tous les mois.
Les gens gras devront prendre de la thériaque 3 fois par semaine. La thériaque est une préparation, connue depuis l’Antiquité contenant une cinquantaine de composants, dont une assez forte dose d’opium, à laquelle on prêtait des vertus toniques et efficaces contre les poisons et les venins.

> Un impact à long terme

Toutes les couches de la société sont frappées par la peste et son cortège de décès. 30 à 40 % de la population passe de vie à trépas. Il faudra plusieurs générations pour combler ce déficit. Mais surtout toute l’économie est bouleversée. Le nombre important de décès a généré une pénurie de main d’œuvre. Des terres agricoles sont à l’abandon.
Les propriétaires terriens furent contraints de faire des concessions pour conserver ou obtenir de la main-d’œuvre, ce qui se solda par la disparition du servage.
Les revenus fonciers s’effondrèrent à la suite de la baisse du taux des redevances et de la hausse des salaires ; le prix des logements à Paris fut divisé par quatre.

Louis Duveau : La Peste d’Elliant (1849, musée des Beaux-Arts de Quimper).

On a beaucoup représenté la peste noire dans l’art et dans la littérature, elle donna lieu à des écrits nombreux. Terminons donc cet article par cette fable de Jean de la Fontaine “Les animaux malades de la peste”

Un mal qui répand la terreur,
Mal que le Ciel en sa fureur
Inventa pour punir les crimes de la terre,
La Peste [puisqu’il faut l’appeler par son nom]
Capable d’enrichir en un jour l’Achéron,
Faisait aux animaux la guerre.
Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés :
On n’en voyait point d’occupés
A chercher le soutien d’une mourante vie ;
Nul mets n’excitait leur envie ;
Ni Loups ni Renards n’épiaient
La douce et l’innocente proie.
Les Tourterelles se fuyaient :
Plus d’amour, partant plus de joie.
Le Lion tint conseil, et dit : Mes chers amis,
Je crois que le Ciel a permis
Pour nos péchés cette infortune ;
Que le plus coupable de nous
Se sacrifie aux traits du céleste courroux,
Peut-être il obtiendra la guérison commune.
L’histoire nous apprend qu’en de tels accidents
On fait de pareils dévouements :
Ne nous flattons donc point ; voyons sans indulgence
L’état de notre conscience.
Pour moi, satisfaisant mes appétits gloutons
J’ai dévoré force moutons.
Que m’avaient-ils fait ? Nulle offense :
Même il m’est arrivé quelquefois de manger
Le Berger.
Je me dévouerai donc, s’il le faut ; mais je pense
Qu’il est bon que chacun s’accuse ainsi que moi :
Car on doit souhaiter selon toute justice
Que le plus coupable périsse.
– Sire, dit le Renard, vous êtes trop bon Roi ;
Vos scrupules font voir trop de délicatesse ;
Et bien, manger moutons, canaille, sotte espèce,
Est-ce un péché ? Non, non. Vous leur fîtes Seigneur
En les croquant beaucoup d’honneur.
Et quant au Berger l’on peut dire
Qu’il était digne de tous maux,
Etant de ces gens-là qui sur les animaux
Se font un chimérique empire.
Ainsi dit le Renard, et flatteurs d’applaudir.
On n’osa trop approfondir
Du Tigre, ni de l’Ours, ni des autres puissances,
Les moins pardonnables offenses.
Tous les gens querelleurs, jusqu’aux simples mâtins,
Au dire de chacun, étaient de petits saints.
L’Ane vint à son tour et dit : J’ai souvenance
Qu’en un pré de Moines passant,
La faim, l’occasion, l’herbe tendre, et je pense
Quelque diable aussi me poussant,
Je tondis de ce pré la largeur de ma langue.
Je n’en avais nul droit, puisqu’il faut parler net.
A ces mots on cria haro sur le baudet.
Un Loup quelque peu clerc prouva par sa harangue
Qu’il fallait dévouer ce maudit animal,
Ce pelé, ce galeux, d’où venait tout leur mal.
Sa peccadille fut jugée un cas pendable.
Manger l’herbe d’autrui ! quel crime abominable !
Rien que la mort n’était capable
D’expier son forfait : on le lui fit bien voir.
Selon que vous serez puissant ou misérable,
Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir.

Jean de La Fontaine
Les fables – Recueil II, livre VII

Laisser un commentaire