” Paris est une bonne ville pour vivre, mais non pour mourir. Car les gueux des Saints-Innocents se chauffaient le cul des ossements des morts “. Cette citation de l’œuvre de Rabelais, Pantagruel, plante le décor.
Rendez-vous au milieu de la place Joachim Du Bellay, non loin des Halles. Vous êtes sûrement déjà passé devant la Fontaine des Innocents. Savez vous que vous êtes au centre de ce qui fut un des plus importants cimetières parisiens ?
Au XIIe siècle il est déjà fait mention d’un cimetière que Philippe Auguste, en construisant ses fameuses enceintes, intègre à la ville de Paris. Il est alors entouré de hauts murs, s’étendant sur un rectangle de 80 mètres sur 100., bordés par la rue Saint Denis, la rue de la Ferronnerie, la rue aux Fers (actuellement rue Berger) et la rue de la Lingerie, soit une superficie un peu plus grande que le square actuel. Du moyen âge au XVIIIeme siècle, on y enterrera plus de 2 millions de parisiens. Une partie du cimetière accueillait les cadavres de l’Hôtel Dieu et ceux de la morgue du Châtelet, en charge de collecter les noyés et les cadavres non réclamés. On disait que la terre des Innocents était bonne car elle digèrerait une cadavre en 9 jours.
Seuls les bourgeois avaient la possibilité de bénéficier d’un cercueil, la majorité des cadavres était déversée dans d’immenses fosses communes de 6 mètres de profondeur. Et quand une fosse était pleine, on en creusait une autre.
Mais ce cimetière est aussi un lieu de vie. La journée, on y trouve des camelots, des écrivains publics, des musiciens et bateleurs. Tout ce petit monde ne semble pas gêné par l’odeur putride des corps en décomposition. La nuit, il devient le repère des mendiants, voleurs, prostituées et truands de tout poil car tous bénéficient dans l’enceinte du cimetière du droit d’asile. La nuit certains se chauffent en brulant des os.
Au XIVe et XVe siècle, devant l’affluence de cadavres, on perfectionne le cimetière en créant des charniers sur les côtés du cimetière. On exhume les ossements et on les met à sécher sur les arcades des immeubles qui entourent le cimetière. Le charnier des Lingères, parallèle à la rue de la Ferronnerie sera remplacé par un immeuble qui existe toujours. Il servira aussi de charnier mais les corps seront entreposés entre les arcades et l’entresol, les étages supérieurs servant d’habitation.
Le 7 mai 1780, le niveau du cimetière dépassant de 2m50 celui des rues, un mur céda et la cave d’un restaurateur fut remplie de plus de 200 cadavres. Cet incident entraina le transfert des “habitants” du cimetière vers les catacombes et la fermeture du cimetière qui fut remplacé plus tard par un marché.
Quant à la fontaine des Innocents qui trône au milieu de la place Joachim Du Bellay, elle était antérieurement à l’angle de l’église au nord du cimetière, église détruite après sa fermeture. Adossée à l’église, elle n’était sculptée que sur 3 faces. C’est Augustin Pajou en 1788 qui se chargera d’en dessiner la 4eme dans l’esprit de ses prédécesseurs.
Au n°8 de la rue de la Ferronnerie et au n° 15 de la rue des innocents, on peut retrouver des arcades qui soutenaient autrefois deux des charniers du cimetière .
Attention : la fontaine est désormais empaquetée dans un joli plastique blanc car elle est en cours de restauration, et ce, jusqu’en 2024 où le musée Carnavalet lui consacrera une exposition majeure.