Nous sommes le 31 juillet 1914. L’assassinat du Duc François Ferdinand, il y a un mois, a déclenché une spirale infernale par le jeu des alliances. L’Autriche vient de déclarer la guerre à la Serbie. L’Allemagne mobilise, la Russie aussi. “Soyons prêts !” écrit Stephen Pichon dans le Petit Journal. L’ambiance est à la revanche et à la guerre que tous sentent toute proche.
Jaurès, quant à lui, ne ménage pas ses efforts pour tenter d’empêcher l’inévitable. Fervent opposant à la guerre, il revient de Bruxelles où a eu lieu un regroupement des socialistes européens. Comme à son habitude, excellent orateur, il a prononcé un brillant discours où il exhortaient les ouvriers français et allemands à refuser cette guerre qui s’annonce.
Vers 21heures, avant d’aller rédiger son article hebdomadaire pour le journal ‘”l’Humanité” qu’il a fondé en 1904 et dont les bureaux sont juste à côté, il s’attable au café du Croissant, 146 rue Montmartre.
Le repas se termine. Un certain Dolé s’approche de la table et montre une photo. ” – C’est ma petite fille“. “- Peut-on voir ?” dit Jaurès avec un bon sourire. Il prend la photo, demande l’âge de l’enfant et félicite l’heureux père. Il est dix heures moins vingt quand retentissent tout à coup deux détonations. Jaurès s’écroule sans un bruit. Une femme crie “Jaurès est tué, Jaurès est tué”. Raoul Vilain, un étudiant nationaliste exalté, fils de greffier, vient d’assassiner Jean Jaurès de deux balles de révolver tirées à bout portant par une fenêtre ouverte.
3 jours plus tard, l’Allemagne déclare la guerre à la France. Les funérailles de Jaurès auront lieu le 4 août.
L’assassin sera jugé en 1919. L’avocat général, se félicitant que le procès ait lieu après la guerre, dans un moment d’apaisement, demande un verdict atténué pour un homme “faible et sans volonté, persuadé que Jaurès allait saboter la mobilisation”. Les défenseurs de Vilain invoqueront l’article 64 du Code Pénal qui dit qu’il n’y a ni crime ni délit lorsque le prévenu était en état de démence ou lorsqu’il a été contraint par une force à laquelle il n’a pu résister.
Après n’avoir délibéré que 30 minutes, le jury acquitte Raoul Vilain et condamne Madame Jaurès a règler les frais de procès.
Vilain mourra de nombreuses années plus tard sous les balles des anarchistes espagnol en 1936 sur l’île d’Ibiza où il s’était exilé.
Terminons avec une citation de Jean Jaurès de 1895 :
“Un jour viendra peut-être où nous serons abattus précisément par un de ceux que nous voulons affranchir. C’est du même peuple souffrant que sortent, selon le vent qui souffle, les violences des révolutions ou les violences des réactions, et la même mer, brisant les navires qui se combattent, en a plus d’une fois réconcilié les débris dans ses profondeurs. Qu’importe après tout ! L’essentiel n’est pas qu’à travers les innombrables accidents de la vie nous soyons épargnés par la faveur des hommes ou par la grâce des choses ; l’essentiel est que nous agissions selon notre idéal, que nous donnions notre force d’un jour à ce que nous croyons la justice, et que nous fassions oeuvre d’hommes en attendant d’être couchés à jamais dans le silence de la nuit.”