Au pays des malingreux et des francs-mitoux

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Le Malingreux Accroupi, 1622 Jacques Callotexpa

Dès le Moyen-Age il y eut dans Paris des lieux où la maréchaussée n’entrait pas. Des textes royaux leur en interdisaient l’accès.
Nous les avons déjà évoqués dans nos articles le Cimetière des Innocents ainsi que plus tard sous Richelieu les jardins du Palais Royal.
Il existait un troisième type d’endroit qui, comme vous pouvez le deviner, était lui aussi un lieu de non-droit, la Cour des Miracles.
Là, point de texte en interdisant l’accès à la police mais, véritable traquenard, les sergents de la prévôté de Paris – les policiers du Moyen Age – ne s’y aventuraient guère. Les habitants ne payaient pas d’impôt.

Chaque ville avait son lieu où s’entassaient les pauvres et les mendiants.
Si la police n’y entrait pas, les prêtres non plus. Pourtant les revenus ecclésiastiques étaient divisés en quatre parts : la première seule appartenait à l’évêque, la seconde était pour son clergé, la troisième pour l’entretien des édifices consacrés au culte, la quatrième était bien destinée aux pauvres de l’Église.

Paris comptait une douzaine de Cours des Miracles mais la plus grande, d’ailleurs dépeinte dans l’œuvre de Victor HugoNotre Dame de Paris” était celle située entre la rue du Caire, Rue des Forges, l’impasse de la Corderie, la rue Thévenot, la rue de Damiette et la rue Réaumur, dans l’actuel 2e arrondissement, et dont l’entrée était située rue Saint-Sauveur.

Les rues « de la Grande-Truanderie » et « de la Petite-Truanderie » (entre le boulevard de Sébastopol et le Forum des Halles) perpétuent le souvenir des cours des Miracles.

Venus des campagnes pour chercher, en vain, du travail, ou miséreux des villes, les plus défavorisés grossissaient les rangs des cours des Miracles au XVIIème siècle.

Enfin, il atteignit l’extrémité de la rue. Elle débouchait sur une place immense, où mille lumières éparses vacillaient dans le brouillard confus de la nuit. Gringoire s’y jeta, espérant échapper par la vitesse de ses jambes aux trois spectres infirmes qui s’étaient cramponnés à lui.
« Ondè vas, hombre ! » cria le perclus jetant là ses béquilles, et courant après lui avec les deux meilleures jambes qui eussent jamais tracé un pas géométrique sur le pavé de Paris.
Cependant le cul-de-jatte, debout sur ses pieds, coiffait Gringoire de sa lourde jatte ferrée, et l’aveugle le regardait en face avec des yeux flamboyants.« Où suis-je ? dit le poète terrifié.
– Dans la Cour des Miracles, répondit un quatrième spectre qui les avait accostés.
– Sur mon âme, reprit Gringoire, je vois bien les aveugles qui regardent et les boiteux qui courent ; mais où est le Sauveur ? »
Ils répondirent par un éclat de rire sinistre.

C’était une vaste place, irrégulière et mal pavée, comme toutes les places de Paris alors.
Des feux, autour desquels fourmillaient des groupes étranges, y brillaient çà et là. Tout cela allait, venait, criait.
On entendait des rires aigus, des vagissements d’enfants, des voix de femmes. Les mains, les têtes de cette foule, noires sur le fond lumineux, y découpaient mille gestes bizarres.
Par moments, sur le sol, où tremblait la clarté des feux, mêlée à de grandes ombres indéfinies, on pouvait voir passer un chien qui ressemblait à un homme, un homme qui ressemblait à un chien. Les limites des races et des espèces semblaient s’effacer dans cette cité comme dans un pandémonium. Hommes, femmes, bêtes, âge, sexe, santé, maladie, tout semblait être en commun parmi ce peuple ; tout allait ensemble, mêlé, confondu, superposé ; chacun y participait de tout.

Victor Hugo “Notre Dame de Paris”

L’origine du nom “Cour des Miracles” vient que tous ces miséreux quittaient ce lieu de refuge le matin pour aller mendier ou chaparder dans les rues de Paris. Qui en aveugle, qui en boiteux.
Mais le soir, comme par miracle, l’aveugle retrouvait la vue et le boiteux une marche de jeune homme.

> Les malingreux, les francs-mitoux, les piètres et les polissons

En langage populaire quand on dit “Ici, c’était la Cour des Miracles“, si on y désigne aussi un lieu mal famé ou peu fréquentable, on l’applique aussi à des personnes bizarrement accoutrées.
Cela vient aussi des divers types de mendiants et voleurs de l’époque : Jugez plutôt avec cette description faite dans le Magasin Pittoresque du 1er janvier 1833, issue des récits d’Henri Sauval ou du Jargon ou Langage de l’Argot reformé, livret populaire facétieux écrit vers 1630 par Ollivier Chereau,

Les Courtauds de Boutange, semi-mendiants qui n’avaient le droit de mendier et de filouter que pendant l’hiver.
Les Capons, chargés de mendier dans les cabarets et dans les lieux publics et de rassemblement ; d’engager les passants au jeu en feignant de perdre leur argent contre quelques camarades à qui ils servaient de compères.
Les Francs-mitoux, qui contrefaisaient les malades, et portaient l’art de se trouver mal dans les rues à un tel degré de perfection, qu’ils trompaient même les médecins qui se présentaient pour les secourir.
Les Hubains. Ils étaient tous porteurs d’un certificat constatant qu’ils avaient été guéris de la rage par l’intercession de saint Hubert, dont la puissance à cet égard était si grande, que, du temps de Henri Etienne, un moine ne craignait pas d’affirmer que si le Saint-Esprit était mordu par un chien enragé, il serait forcé de faire le pèlerinage de Saint-Hubert-des-Ardennes pour être guéri de la rage.
Les Mercandiers. C’étaient ces grands pendards qui allaient d’ordinaire par les rues deux à deux, vêtus d’un bon pourpoint et de mauvaises chausses, criant qu’ils étaient de bons marchands ruinés par les guerres, par le feu, ou par d’autres accidents.
Les Malingreux. C’étaient encore des malades simulés ; ils se disaient hydropiques, ou se couvraient les bras, les jambes et le corps d’ulcères factices. Ils demandaient l’aumône dans les églises, afin, disaient ils, de réunir la petite somme nécessaire pour entreprendre le pèlerinage qui devait les guérir.
Les Millards. Ils étaient munis d’un grand bissac dans lequel ils mettaient les provisions qu’arrachaient leurs importunités. C’étaient les pourvoyeurs de la société.
Les Marjauds. C’étaient d’autres gueux dont les femmes se décoraient du titre de marquises.
Les Narquois ou Drilles. Ils se recrutaient parmi les soldats, et demandaient, l’épée au côté, une aumône, qu’il pouvait être dangereux de leur refuser.
Les Orphelins. C’étaient de jeunes garçons presque nus, chargés de paraître gelés et de trembler de froid, même en été.
Les Piètres. Ils contrefaisaient les estropiés, et marchaient toujours avec des béquilles.
Les Polissons. Ils marchaient quatre à quatre, vêtus d’un pourpoint, mais sans chemise, avec un chapeau sans fond et une bouteille sur le côté.
Les Rifodés. Ceux-là étaient toujours accompagnés de femmes et d’enfants. Ils portaient un certificat qui attestait que le feu du ciel avait détruit leur maison, leur mobilier, qui, bien entendu, n’avaient jamais existé.
Les Coquillards. C’étaient des pèlerins couverts de coquilles, qui demandaient l’aumône, afin, disaient-ils, de pouvoir continuer leur voyage.
Les Callots étaient des espèces de pèlerins sédentaires, choisis parmi ceux qui avaient de belles chevelures, et qui passaient pour avoir été guéris de la teigne en se rendant à Flavigny, en Bourgogne, où sainte Reine opérait des prodiges.
Les Cagous ou Archi-Suppôts. On donnait ce nom aux professeurs chargés d’enseigner l’argot, et d’instruire les novices dans l’art de couper les bourses, de faire le mouchoir, de créer des plaies factices, etc.
Enfin, les Sabouleux. Ces mendiants se roulaient à terre comme s’ils étaient épileptiques, et jetaient de l’écume au moyen d’un morceau de savon qu’ils gardaient dans la bouche.

Quatre mendiants au Pont au Change, gravure de Jean Henry Marlet

> N’est pas coupeur de bourses qui veut

Pour être admis dans cette “profession”, il fallait réaliser deux “chefs d’œuvre” en présence de “maîtres“.
Henri Sauval dans “Histoire et recherches des antiquités de la ville de Paris” y décrit comment se déroulait cet examen de passage.

Première épreuve : réaliser un chef d’œuvre. On attachait au plancher ou sur les poutres une corde sur laquelle étaient accrochés des grelots. Le candidat coupeur de bourse devait avoir le pied droit posé sur une assiette appuyée à la corde. En bougeant l’autre pied et le reste du corps, il devait essayer de couper une bourse attachée à une marionnette sans faire sonner les grelots. S’il échouait, il était roué de coups.
S”il réussissait, une seconde épreuve se déroulait au cimetière des Innocents.
Arrivé sur place, on repérait des femmes à genoux priant devant une Vierge, avec la bourse à l’extérieur. L’aspirant devait la dérober. Pour donner un peu de piquant à l’épreuve, les autres maîtres le dénonçaient afin que tous les passants se ruent sur lui « Voilà un coupeur de bourses qui va voler cette personne ! »
Mais les autres comparses en profitaient pour subtiliser tous les porte-monnaie qu’ils pouvaient trouver et s’enfuir en courant.

Les coupeurs de bourses opéraient toujours à plusieurs. Cela permettait en effet de s’aider en cas de besoin. Le voleur transmettait systématiquement son butin dans la foulée à un autre comparse. Ainsi, il n’était jamais pris au dépourvu.
Arrivés sur le terrain de leurs larcins, les coupeurs de bourses cachaient un dé à un emplacement connu d’eux seuls et le posaient sur la face indiquant leur nombre. S’ils étaient plus de 6, le septième apportait un second dé.

 > Le grand coësre, roi des argotiers 

Se qualifiant d’autorité parallèle à celle du roi de France, un “roi“, certes en haillons régnait sur la communauté. Il recevait les nouveaux venus et percevait les impôts et taxes, que chacun des argotiers devait verser.

Le Roi Illustration dans Notre Dame de Paris (Victor Hugo)

Tout nouvel aspirant devait venir en s’agenouillant pour baiser les mains du grand coësre et « lui promettre la foi ». Ils devaient se mettre à quatre pattes pour qu’il puisse s’asseoir sur eux.
Le nom de “roi de Thune” fut le nom donné à un seul d’entre eux. Il était resté en poste pendant trois ans. Il se faisait tirer par deux grands chiens, installé dans une petite charrette.

En 1667, le lieutenant de police de Louis XIV, La Reynie, ordonna la fermeture de la dernière cour des Miracles. Les indigents furent dès lors envoyés au bagne, à l’échafaud, ou au nouvel hôpital général fondé par le roi.


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