Très souvent quand on évoque le début du siècle dernier, on cite la création du métro (voir notre article), la construction de la Tour Eiffel ou les expositions universelles.
Il est vrai que la fin du XIXème siècle est marquée par les grands travaux du baron Haussmann , le développement du chemin de fer et la révolution industrielle qui fait basculer une société à dominante agraire et artisanale vers une société commerciale et industrielle.
La grande invention qui va bouleverser la France est la machine à vapeur. Elle va permettre d’aider les citoyens dans le travail. L’instruction devient également gratuite, obligatoire et laïque pour les enfants de 6 à 13 ans sous l’action de Jules Ferry.
Mais à côté des images trop souvent mises en avant de l‘Exposition Universelle de 1900 inaugurée par le Président Emile Loubet (son prédécesseur Félix Faure est mort brusquement en février 1899 – voir notre article) et de l’engouement des parisiens pour son trottoir roulant, il est important de jeter un regard plus global et surtout plus objectif sur la société de cette époque.
> Quelques chiffres
L’espérance de vie est 45,3 ans pour les hommes et 48,7 ans pour les femmes.
La consommation d’alcool pur en 1900 se monte à 35,7 litres par an et par adulte et sans compter l’alcool des bouilleurs de cru des campagnes.
Une enquête dans une école de Rouen révèle qu’un tiers des enfants boit de l’eau de vie tous les jours.
L’absinthe fait des ravages à Paris, notamment dans les quartiers pauvres, à Belleville et dans la “zone” où s’entassent les familles misérables.
C’est à cette époque que le maximum de consommation de pain par an et par adulte est atteint soit 230 kg.
La taille moyenne du conscrit est d’1m65. On considère comme grand celui qui dépasse 1m72. On est plus grand à Paris dans les quartiers riches (5cm de plus en moyenne) que dans les arrondissements pauvres ou les cantons reculés..
Plus d’un français sur deux travaille. 45% des français sont dans l’agriculture.
On travaille tant que les forces le permettent – il n’y a pas de retraite,- et ce depuis l’âge de 12 ans si on a le certificat d’études, sinon treize.
La durée légale du travail journalier est de 10 heures pour les garçons de moins de 18 ans et les femmes. En 1904, la durée légale sera ramenée à 10 heures pour tous, mais cette durée sera souvent largement dépassée. C’est le cas chez les petits commerçants, les serveurs, les aiguilleurs de chemin de fer et il est courant que les domestiques par exemple travaillent de 6h30 à 22h. C’est une loi de 1906 qui rendra le repos hebdomadaire obligatoire mais non pour les domestiques.
Le travail de la terre est usant pour les corps dans les campagnes qui ne bénéficient pas encore des progrès de la mécanisation.
Dans l’industrie, il est souvent aussi pénible et quelque fois plus dangereux. Une loi sur les accidents du travail a bien été votée en mars 1898 et elle ne concerne pas les ouvriers agricoles et les forestiers.
Par contre rien n’est prévu pour les maladies professionnelles. De toute façon, un ouvrier malade, vieux, usé, c’est à dire non productif, n’est pas gardé par les grandes entreprises.
La tuberculose est la première cause de mortalité. On lui attribue le cinquième de la mortalité dans les grandes villes. Si elle touche aussi les jeunes gens de la haute société, c’est une maladie de classe. Repos et sanatorium pour les riches et pour les pauvres mort dans la salle commune de l’hôpital après avoir contaminé toute sa famille par sa toux et ses crachats. La tuberculose a tellement été la “grande faucheuse” et marqué l’imaginaire que les panneaux “défense de cracher” vont perdurer dans les lieux publics bien après son éradication grâce aux antibiotiques dans les années 50.
Pour chacun d’entre nous, il nous semble que les années 1900 ne soient pas si éloignées.
Vous avez sûrement fait quelques recherches sur vos ascendants, et remonté au début du siècle dernier, ce qui est aisé. Certains d’entre vous ont peut-être connu un membre de leur famille qui a vécu à cette époque. Personnellement mes deux grands-pères que j’ai connus étaient nés en 1900 et 1897.
Imaginons-les dans ce début de siècle.
Je vous propose de vous attacher à trois aspects particuliers de cette société de 1900. Je pense que c’est toujours intéressant de s’y arrêter un instant et franchement ensuite vous me direz si vous ne découvrez pas des aspects que vous méconnaissiez.
Une citation de Charlie Chaplin résume bien selon moi ce qui vous attend : “A aucun moment de l’histoire, le respect humain n’a brillé d’un très vif éclat.”
> La domination de l’empire colonial
” Les peuples de la race blanche se distinguent surtout par leur activité intellectuelle, leur esprit d’entreprise, leur amour du progrès; ils se sont placés à la tête de l’humanité.”
(P. Foncin “le Pays de France” 1899.
Le colonisé, lui, est vu comme un être inférieur à éduquer mais aussi comme une force à utiliser pour la gloire de “la plus grande France”. Les tirailleurs algériens ont été créés en 1841, les Tirailleurs sénégalais en 1857
“L’étranger ne doit pas montrer trop de défiance à l’indigène. Ne pas oublier qu’on a affaire à des gens qui, sous bien des rapports, sont des enfants”. Guide Baedeker, 1901
Voilà comment on considère l'”indigène” qui attire d’ailleurs aussi la curiosité des parisiens qui se pressent au Jardin d’Acclimatation ou à l’exposition coloniale de 1907 avec des exhibitions qualifiées de “zoos humains” .
Plus d’un siècle après, des vestiges de plusieurs pavillons de cette exposition restent encore visibles au sein du Jardin d’agronomie tropicale au sein du bois de Vincennes. La réhabilitation de ces pavillons est controversée et ne se fait que par petites touches : le pavillon de l’Indochine a ainsi été réhabilité en 2017 puis le pavillon de la Tunisie en 2019 et 2020.
Auto satisfaction d’un peuple qui continue à considérer la France soit en fille ainée de l’Eglise, soit en nation apportant les Lumières au monde.
La supériorité du Blanc se manifeste dans tous les domaines. Jugez plutôt !
> Dreyfus condamné une seconde fois
Même si ce second procès se solde pour Dreyfus par une condamnation avec circonstances atténuantes, le grande presse, antisémite dans son ensemble applaudit.
L’aspect le plus virulent en France de ce regard discriminatoire porté sur l’autre, c’est bien l’antisémitisme qui se développe depuis une quinzaine d’années.
Les juifs ne sont qu’environ 10.000 pour toute la France mais ils sont sur-représentés à Paris dans le secteur de la banque et des affaires et dans la vie politique. La plupart ne sont pas pratiquants.
Le journal “La Croix” virulent contre “l’école sans Dieu” et qui se dit le journal “le plus anti-juif de France” écrit :
” Le juif se moquera des Français auquel il aura enlevé sa foi, sa famille, son argent, ses terres, ses libertés..”
> La femme, éternelle mineure
Les femmes représentent en 1900 la moitié des Français mais elles sont loin d’occuper une place correspondant à leur nombre. Plus d’un tiers d’elles sont des travailleuses mais l’idée dominante est celle de la femme au Foyer et qui se doit de faire des enfants.
Napoléon n’avait-il pas dit à son mariage avec Marie-Louise “j’épouse un ventre” !
Dans une France qui s’enorgueillit d’être la Patrie des Droits de l’Homme, si “ les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit“, il est clair que cela ne concerne pas les femmes. Déjà elle n’auront le droit de vote qu’en 1907 pour les élections … aux prud’hommes.
Leur infériorité civique est marquée par la législation du mariage. Elles passent de la tutelle de leur père à celle de leur époux à qui elle doit obéissance selon l’article 213 du Code Civil. Le mari est le chef de famille qui décide l’éducation, la religion des enfants et peut s’opposer à leur mariage.
L’adultère féminin est puni de peines sévères pouvant aller jusqu’à la prison alors que l’homme n’est sanctionné que si il a amené sa concubine au domicile conjugal, acte puni seulement d’une amende. Selon l’article 324 du Code Pénal, dit “article rouge“, le meurtre commis par l’époux sur l’épouse infidèle peut être excusé.
Si la femme célibataire majeure a la libre disposition de ses biens, pour la femme mariée, c’est le mari qui gère ses biens puisque la femme mariée est considérée comme une mineure.
C’est le mariage qui donne à la femme un statut social. La femme célibataire est considérée comme marginale. Elle est méprisée et donc exploitée.
Il faudra attendre 1907 pour que la femme mariée puisse disposer librement de son salaire.
Quant au droit de vote, alors que la France a été l’un des premiers pays à instaurer le suffrage universel masculin, ce droit ne leur sera alloué que le 21 avril 1944 par le Gouvernement provisoire du général de Gaulle.