Jules Jouy disait:
“‘L’heure, c’est l’heure ; avant l’heure, c’est pas l’heure ; après l’heure, c’est plus l’heure”
Aujourd’hui l’heure nous est donnée par nos smartphones ou nos montres.
Ces appareils sont connectés à internet, nous garantissant l’heure exacte.
Même si dans nos têtes il est toujours aussi difficile de savoir au passage à l’heure d’été si on avance ou si on recule. C’est un peu comme identifier sa main droite en disant que c’est celle qui a le pouce à gauche.
Jusqu’à la fin du XIXème siècle, les Français se basaient sur l’heure du clocher calée sur l’heure solaire.
A Paris, le canon du Jardin Royal annonçait midi et comme l’a dit un inconnu
“En ce jardin, tout se rencontre, hormis de l’ombrage et des fleurs, si on y dérègle ses mœurs, au moins on y règle sa montre !”.
Il est vrai que dans ce jardin interdit à la Police, les mœurs y étaient légères (voir notre article).
Mais revenons à nos horloges. Se baser sur l’heure solaire faisait que lorsqu’il était midi à Paris, il était midi moins 6 minutes à Bordeaux, et midi et 6 minutes à Besançon. On notait donc près d’un quart d’heure de différence entre les villes de l’Est de la France et celles de l’Ouest.
> La Révolution institue le mètre étalon et le kilogramme mais laisse l’heure locale
Lors de la Révolution où sont mis à plat les systèmes de mesure français (création du mètre étalon et du kilogramme) l’heure a échappé à ce changement.
L’horloger Robin, horloger du Roi puis fournisseur du Conseil des Cinq-Cents comme des ministères de l’Intérieur, des finances et de la guerre et donc bien placé auprès des instances dirigeantes, a pourtant demandé en 1793 « que le temps moyen (soit) l’heure civile partout dans la République. Il a précisé qu’il avait déjà « plaidé cette cause » à l’Académie dix-huit ans plus tôt, rejetée « par la seule objection de l’usage ». Mais rien ne change.
Il faudra attendre un siècle plus tard.
En 1891, le président de la République, Sadi Carnot, et le président du Conseil, Charles de Freycinet, sont tous les deux polytechniciens. L’esprit scientifique souffle au sommet de l’Etat.
Les diligences sont remplacées par le Chemin de Fer, et il n’est pas concevable que les trains adaptent leurs horaires selon l’heure locale de ses villes de départ et de destination.
Au départ, on régla chaque ligne en fonction de l’heure d’une seule localité, celle du terminus. Mais cette règle est compliquée pour les voyageurs.
> La loi du 14 mars 1891 institue l’heure légale
Ainsi, pour assurer la régularité des trains et mettre le pays à l’heure française, la loi du 14 mars 1891 instaure une heure légale qui se cale sur l’heure de la capitale, Paris: ” L’heure légale en France et en Algérie est l’heure ‘temps moyen’ de Paris“.
Pour que les Français s’adaptent à ce changement sans être trop perturbés, les horloges de certaines mairies affichaient simultanément l’heure légale et l’heure locale avec deux aiguilles pour celle des minutes.
Dans les gares, sur les quais, les horloges indiquent l‘heure légale et celle de l’entrée de la gare l’heure locale et l‘heure légale.
> L’heure de “Rouen”
Afin d’éviter d’éventuelles réclamations des voyageurs, les responsables des Chemins de Fer introduisirent un perfectionnement supplémentaire, pour aider les voyageurs à ne pas « manquer le train » : on mit tous les trains en retard par rapport aux horaires annoncés. Sur les trottoirs de départ, on lisait une troisième « heure », en retard par rapport à l’heure officielle « de la gare » et sur laquelle les trains se réglaient effectivement. Au départ, c’était 3 minutes. Le retard fut unifié à 5 minutes. Ce qui donna le nom d'”heure de Rouen“, car cela correspondait au méridien de Rouen, à 1°15’ de longitude ouest de Paris.
Imaginez donc la complexité pour le voyageur qui devait composer avec 3 heures, l’heure locale, l’heure légale et l’heure de “Rouen”. Cette particularité française fut supprimée le 11 mars 1911.
> L’origine de l’heure
Ce sont les Babyloniens qui eurent les premiers l’idée de découper la journée en douze heures du lever du soleil à son coucher.
Les Grecs et les Romains suivirent la même règle.
Ainsi une heure était plus courte en hiver qu’en été. C’était la sixième heure qui marquait la mi-journée, “sexta” en latin. D’où découlera la “sieste“.
Plus tard, les Romains fixèrent le début de la journée à minuit.
Les hommes ont l’habitude d’utiliser les cadrans solaires depuis des siècles. On attribue le premier cadran solaire aux Egyptiens 20 siècles avant Jésus-Christ.
Au Moyen Âge, l’Église crée les heures canoniales qui divisent la journée en huit. À chaque heure correspond sa prière, annoncée par la sonnerie des cloches qui vont rythmer durant des siècles la vie des villes et des campagnes : matines, laudes, prime, tierce, sexte, none, vêpres et complies.
C’est au XIVe siècle qu’apparaissent, en Italie, les premières horloges mécaniques à poids. Cette innovation se répand rapidement dans toute l’Europe. Chaque église est progressivement équipée d’une horloge.
A la fin du XVème siècle les personnes aisées peuvent se doter d’une “horloge portative” ancêtre de la montre.
Même si la majorité du peuple continue à utiliser le cadran solaire, on trouve l’anneau de paysan, un cadran personnel portatif en forme d’anneau pouvant se régler à la date du jour et donnant l’heure solaire avec une précision d’un quart d’heure.
> Messieurs les Anglais, vous affligez une nouvelle défaite à la France
Revenons à nos pauvres voyageurs perdus entre leurs trois horloges.
En 1911, voilà que tout change encore.
Depuis plusieurs années, l’Europe se prépare à choisir un méridien de référence pour établir une heure de référence. Depuis 1884, la France est opposée à l’adoption du méridien de Greenwich comme référence mondiale. Elle fait de la résistance, souhaitant que ce soit le méridien de Paris qui soit choisi. Mais la France finit par céder. Les français sont obligés de reculer leurs montres et horloges de 9 minutes et 21 secondes et passer à l’heure anglaise.
Gaston Calmette écrit dans le Figaro du 19 mars 1911
Je ne connais rien aux raisons supérieures qui ont amené cette modification et j’ignore les «concordances» que sénateurs et députés, assurément plus instruits, ont déclarées nécessaires pour «le système universel des fuseaux horaires». Je m’étonne en tout cas que nos Assemblées législatives en abandonnant notre heure nationale aux Anglais n’aient pas, en échange, obtenu d’eux l’adoption de notre système métrique, par exemple, ou toute autre concession dont notre commerce aurait fait à son tour son profit.
Peut-être aussi aurait-on pu restreindre à la navigation et aux voies ferrées l’application de cette loi qui n’aurait dès lors modifié dans notre existence aucune de ces habitudes auxquelles nous sommes attachés comme à des amis fort anciens.
Mais le sort en est jeté !
Nos gouvernants nous ont infligé, là encore, une petite défaite, et quand le soleil du 10 mars 1911 s’est couché pour la dernière fois à notre heure, son déclin a marqué une toute petite chose de notre propre déclin.
Les disques électriques ou pneumatiques, les cadrans majestueux des places publiques, les minuscules montres des femmes, les pendules de nos demeures, les horloges des chaumières, les cloches elles-mêmes de nos églises, tous et toutes enregistrent maintenant la victoire de l’Angleterre en s’accordant servilement à l’heure anglaise. Et cette nuit, dans les radiogrammes qu’elle adresse en mer aux navires de tous les pays, la tour Eiffel le dira même aux étoiles. Décidément cette date du 11 mars 1911 est mauvaise ; il ne faut en exagérer ni l’importance, ni la tristesse, mais on peut, en bon Français, s’en affliger.
Seul le cadran solaire des quelques villages qui nous entourent, proteste contre cet abandon de nos coutumes; en dépit des lois changeantes des hommes, il persiste à montrer aux mêmes instants les mêmes minutes, et silencieux, altier, fidèle, avec cette noblesse que donne la lumière, il perpétue une heure radieuse, l’heure française. Bravo pour le cadran solaire.
> L’heure de “guerre”, l’ancêtre de notre heure d’été
Pendant la Première guerre mondiale, face au conflit très coûteux pour le pays, l’Etat veut économiser du charbon et du pétrole. Une proposition est faite aux députés d’appliquer une heure d’été qui permettrait de bénéficier d’une heure de plus de soleil naturel. Le débat est houleux mais la loi est finalement adoptée en 1917. La première année, l’heure d’été est appliquée du 15 juin au 1er octobre 1916. En 1917, en s’appuyant sur les chiffres de la Compagnie Parisienne d’Electricité qui affiche une réduction de 4,76 % des besoins en énergie pour l’éclairage de Paris, le gouvernement propose d’utiliser cette heure à partir du 15 février.
En 1940, l’occupation allemande imposera l‘heure de Berlin, la zone non occupée restant à l’heure française. Cela occasionnera des problèmes sur la circulation des trains.
A la Libération, la France supprime le changement d’heure mais choisit de rester en permanence à l’heure allemande d’hiver. On vit désormais à l’heure allemande sauf l’été où nos voisins passent, eux, à l’heure d’été.
C’est Valéry Giscard d’Estaing, lors de la crise pétrolière, qui rétablira le changement d’heure en été, règle qui perdure depuis 1976 malgré les directives européennes qui soulignent les impacts néfastes sur nos organismes.
Alors on dort une heure de moins ou une heure de plus quand on passe à l’heure d’été ?