” Sous les ponts de Paris lorsque descend la nuit, comme il n’a pas d’quoi s’payer un’ chambrette, un couple heureux vient s’aimer en cachette, et les yeux dans les yeux faisant des rêves bleus, Julot partage les baisers de Nini …”.
Nous avons tous fredonné cette valse que nous devons à Vincent Scotto pour la musique et à Jean Rodor pour les paroles. Elle fut chantée à l’origine par Gorgel en 1903, surtout interprète de Mayol, un muguet à la boutonnière.
Dans un précédent article, nous vous avons fait découvrir les îles de Paris, celles qui ont disparu ou celles qui ont été comblées, intéressons nous maintenant aux ponts qui au fil des siècles ont été construits et ont embelli la capitale en pleine extension.
Nous aborderons dans la première partie de cet article consacré aux ponts de Paris les ponts les plus anciens.
En route pour un retour aux origines de la capitale.
> Les deux premiers pont romains
Ce sont les Romains qui construisent les deux premiers ponts qui desservent la Cité, probablement en bois reposant sur des piles en bois puis en pierre. Ils permettent l’accès à la Cité des deux côtés.
En 861 Charles le Chauve en fait construire un nouveau : “Le Grand Pont“. Il a surtout une valeur défensive face aux invasions de barbares.
> Les rendez-vous galants du Pont aux Meuniers
En 1280 et 1296, des inondations de La Seine emportent le pont. Il sera reconstruit un peu en amont et deviendra le Pont au Change.
A sa place une passerelle est construite pour permettre l’accès aux 10 moulins installés sous les arches de l’ancien pont démoli, d’où son nom : le Pont aux Meuniers.
Les moulins ne sont pas fixes mais flottants sur des “moulins-nefs“.
Ils sont halés sous le pont pour être opérationnels ou stationnés en aval lorsqu’ils sont à l’arrêt.
L’encombrement du fleuve est extrême, les piles de ponts non alignées et importantes rétrécissent le goulet et accélèrent le courant, ce dont profitent les moulins.
Ce passage jusqu’au pont Neuf sera appelé “la vallée de la misère” par les mariniers.
Les dimanches et les jours féries, c’était l’endroit le plus silencieux de Paris, car les moulins étaient à l’arrêt. Par contre en semaine le bruit des moulins obligeait les passants à se parler très fort et il était de couture de s’y retrouver pour échanger baiser, mots d’amours ou rendez-vous.
C’est sur ce pont que naquit un vieux dicton populaire. Pour indiquer qu’une fille ou une femme a perdu toute pudeur, on dit « qu’elle a jeté sa cornette par dessus les moulins » :
« Un jour une coquette bourgeoise, en batifolant avec un écolier qui pratiquait plus l’école buissonnière qu’il ne fréquentait les cours de l’université, s’était approché trop près d’un moulin. La roue avait accroché un ruban de sa cornette qui, violemment arraché de la tête volage, avait été lancée par dessus les moulins et emportée par le vent au milieu de la Seine, à la grande hilarité des badauds ».
Source www.paris-a-nu.fr/
Des maisons seront progressivement installées sur ce pont.
Il s’effondre le soir du 22 décembre 1596 provoquant 150 morts.
Le nouveau pont fut détruit par un incendie accidentel dans la nuit de 23 au 24 octobre 1621. Le feu se propagea au pont au Change tout proche qui fut également détruit . Seul le Pont au Change sera reconstruit.
> Le Pont au Change
Les ponts sur la Seine sont régulièrement victimes des crues du fleuve.
Des arches sont emportées quand ce n’est pas le pont en entier.
C’est le cas de ce pont qui perd 6 arches lors des crues de 1196, 1206 et 1280. Il est emporté par celle de décembre 1296 et perd à nouveau deux piliers lors de la crue de 1616. Il est finalement détruit en 1621 par la propagation de l’incendie du Pont aux Meuniers.
Le pont est reconstruit en 1647 mais les maisons à 4 étages – d’abord en bois puis en pierre – qui sont bâties dessus sont finalement rasées en 1788 pour éviter un des périls de l’époque : les incendies.
Le musée Carnavalet possède de belles peintures d’Hubert Robert qui retrace ces travaux.
Depuis les temps mérovingiens, les transactions sont réglées en travail ou en nature, par troc, en poids de métal et un peu en monnaie, mais son usage est complexe en raison du grand nombre de monnaies différentes en circulation dans tout le pays.
Les pièces d’or, d’argent ou d’alliage (billon) sont cependant de plus en plus utilisées au fil du temps, notamment après le 13e siècle.
En 1292, on dénombre 16 changeurs qui sont installés sur le Pont au Change.
Ils disposent des pièces de toutes les provinces du Royaume.
Selon les décomptes de l’époque, Paris comptait 205 lombards qui réalisaient le change.
En 1421, ils sont alors placés sous l’autorité du maître des Monnaies et 3 années d’apprentissage sont obligatoires. Leur localisation est également très contrôlée : ils ont obligation d’être sur le Pont au Change.
Le Pont est toujours très animé, c’est le passage obligé quand on vient de province et que l’on souhaite faire des affaires dans Paris.
Le Pont au Change existe toujours aujourd’hui mais c’est celui reconstruit en 1860 sous Napoléon III.
> le Pont Notre Dame, le Petit Pont et le Pont Saint Michel
Sur le grand bras de la Seine, nous avons vu le Pont au Change et le Pont aux Meuniers.
En 1450, il existe aussi le Pont Notre Dame. Le 31 mai 1413, l’ancien pont romain qui avait été remplacé par un pont en bois dénommé “le pont que l’on passe à planche” est consolidé et renommé “Pont Notre Dame“.
De chaque coté du pont sont bâties 30 maisons. Au rez de chaussée s’installent des boutiques, librairies et armureries. Des moulins sont amarrés à ses piliers.
Mais le 25 octobre 1499, lors d’une crue de la Seine, le pont Notre-Dame s’entrouvre et les maisons s’écroulent dans le fleuve dans un fracas horrible.
Le pont est reconstruit en 1512. Il est financé par un octroi spécial pour les frais de la reconstruction du pont, “6 deniers par livre à prendre pendant six ans aux entrées de Paris sur tout le bétail à pied fourché, sur le poisson et le sel”.
Il héberge désormais 61 maisons ; 30 d’un côté et 31 de l’autre. Ces maisons de 6 étages furent les premières dotées d’un numéro à Paris. En 1786, les maisons seront rasées.
En 1670, on décida de construire une pompe qui puisant l’eau dans la Seine alimenterait en eau 29 fontaines.
Tout comme la Pompe La Samaritaine qui sera installée des années plus tard sur le futur Pont Neuf.
Dans Les Misérables de Victor Hugo, l’inspecteur Javert se suicide en sautant de ce pont
” L’obscurité était complète. C’était le moment sépulcral qui suit minuit. Un plafond de nuages cachait les étoiles. Le ciel n’était qu’une épaisseur sinistre. Les maisons de la Cité n’avaient plus une seule lumière; personne ne passait; tout ce qu’on apercevait des rues et des quais était désert; Notre-Dame et les tours du Palais de justice semblaient des linéaments de la nuit. Un réverbère rougissait la margelle du quai. Les silhouettes des ponts se déformaient dans la brume les unes derrière les autres. Les pluies avaient grossi la rivière.
Les misérables Livre 4eme Chapitre 1
L’endroit où Javert s’était accoudé était, on s’en souvient, précisément situé au-dessus du rapide de la Seine, à pic sur cette redoutable spirale de tourbillons qui se dénoue et se renoue comme une vis sans fin.
Javert pencha la tête et regarda. Tout était noir. On ne distinguait rien. On entendait un bruit
d’écume; mais on ne voyait pas la rivière. Par instants, dans cette profondeur vertigineuse, une lueur apparaissait et serpentait vaguement, l’eau ayant cette puissance, dans la nuit la plus complète, de prendre la lumière on ne sait où et de la changer en couleuvre.
La lueur s’évanouissait, et tout redevenait indistinct.
L’immensité semblait ouverte là. Ce qu’on avait au dessous de soi, ce n’était pas de l’eau, c’était du gouffre. Le mur du quai, abrupt, confus, mêlé à la vapeur, tout de suite dérobé, faisait l’effet d’un escarpement de l’infini.
On ne voyait rien, mais on sentait la froideur hostile de l’eau et l’odeur fade des pierres mouillées.
Un souffle farouche montait de cet abîme. Le grossissement du fleuve plutôt deviné qu’aperçu, le tragique chuchotement du flot, l’énormité lugubre des arches du pont, la chute imaginable dans ce vide sombre, toute cette ombre était pleine d’horreur.
Javert demeura quelques minutes immobile, regardant cette ouverture de ténèbres; il considérait l’invisible avec une fixité qui ressemblait à de l’attention. L’eau bruissait. Tout à coup, il ôta son chapeau et le posa sur le rebord du quai. Un moment après, une figure haute et noire, que de loin quelque passant attardé eût pu prendre pour un fantôme, apparut debout sur le parapet, se courba vers la Seine, puis se redressa, et tomba droite dans les ténèbres; il y eut un clapotement sourd; et l’ombre seule fut dans le secret des convulsions de cette forme obscure disparue sous l’eau.”
Les deux autres ponts qui figurent sur ce plan sont situés sur le petit bras de la Seine.
Le plus ancien est le Petit Pont dont l’origine, nous l’avons vu, remonte à l’époque romaine. Lui aussi fut détruit et reconstruit plusieurs fois.
Nous avons déjà relaté dans un précédent article l’incendie qui dura 3 jours le 27 avril 1718 et détruisit le Petit Pont et 22 maisons.
Il fut notamment reconstruit en 1853 avec une seule arche d’une longueur de 38 mètres. Il a été rebaptisé en 2013 Petit-Pont-Cardinal-Lustiger.
La construction du pont Saint Michel fut décidée en 1353 par le Parlement de Paris.
Bâti directement en pierre, il fut lui aussi recouvert de maisons.
Il fut nommé le “Pont Neuf” à ne pas confondre avec son homonyme construit plus tard et dont nous reparlerons. Bien entendu, pont et maisons furent aussi emportés par la Seine en 1407.
Le pont fut reconstruit en bois deux fois et… emporté à nouveau par les crues de la Seine.
En 1616 il est réédifié, mais en pierre cette fois et à nouveau loti de 32 maisons qui seront détruites en 1807.
Le 17 octobre 1961 a lieu une répression meurtrière par la police française d’une manifestation d’Algériens organisée à Paris par la fédération de France du FLN. Pour échapper aux coups des policiers, plusieurs manifestants préfèrent se jeter du pont Saint-Michel.
Nous poursuivrons notre découverte des ponts de Paris dans le prochain article…