Un dandy dans le box

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Portrait de Pierre-François Lacenaire, de profil. Lithographie de Pierre Théophile Junca, 1835.

Nous sommes le 12 novembre 1835 et la Cour d’Assises est comble.
Mais on remarque surtout des femmes. Et elles n’ont d’yeux que pour un des 3 accusés qui viennent d’être introduits à 11h30 dans la salle de justice.
C’est un homme jeune de 32 ans. Il a pour nom Pierre François Lacenaire. Ce n’est pas le type de personne qu’on a l’habitude de voir en Cour d’Assises. Les deux autres hommes qui le côtoient dans le box des accusés ont plus le profil des “clients” habituels. Sans aucun doute, ce sont des brutes épaisses au faciès d’assassin.

> L’accusé fait son show

Dans ‘la Quotidienne” du lendemain, un journaliste écrit : “Lacenaire est de petite taille, vêtu d’une redingote bleue : sa physionomie est vive et spirituelle, son teint légèrement coloré, son front est découvert, ses cheveux bruns sont séparés sur le côté avec une sorte de prétention. Il porte de petites moustaches brunes, l’éclat de ses yeux, la mobilité de ses regards donnent à sa figure une étrange expression d’insouciance et d’audace. Il parait doué d’un sang froid qui tient du cynisme et s’entretient en riant avec son avocat. “
Les trois hommes comparaissent pour l’assassinat de Jean-François Chardon, homosexuel connu sous le pseudonyme de “Tante Madeleine” et de sa mère. Avec ses deux autres comparses, Pierre Victor Avril et Hyppolyte François, ils sont accusés d’avoir poignardé le 14 décembre 1834 Jean-François Chardon à l’aide de tire-points (outil pointu utilisé pour faire des trous), de l’avoir achevé à coups de hache et d’avoir étouffé la pauvre femme dans son lit à leur domicile, passage du Cheval-Rouge (à l’emplacement du n° 321, rue Saint-Martin).
Ce procès sera pour Pierre François Lacenaire que les journaux qualifieront “d’assassin romantique” ou de “poète assassin” la tribune qu’il a toujours rêvé d’avoir. Il ne montrera aucun signe de remords, revendiquant ses crimes et méfaits au nom d’une “déclaration de guerre à une société injuste”. Reconnaissant ses actes, il donne tous les détails de ces atrocités. « Je suis un voleur, un filou, un scélérat, je le confesse » proclame-t-il devant le tribunal. Il répond au Président sans détour, le recadre quelques fois, accable ses complices et donnent quelques détails qui font rire la salle.

> Une vie décousue

L’homme est passionné de littérature, et fils d’une famille bourgeoise de Lyon où il a fait de brillantes études même si il a changé moulte fois d’établissements. Sa mère a fait 13 grossesses et, comme il le racontera lui-même , il n’était pas un enfant désiré, se sentant abandonné par sa mère. Après plusieurs déboires financiers épongés par sa famille, il sera finalement spolié de son héritage par son père.
« C’est là que tu finiras ! » lui aurait dit son père en lui montrant la guillotine installée place des Terreaux.
Après un passage dans l’Armée Suisse sous un faux nom qu’il finit par déserter, Pierre François Lacenaire s’engage dans l’infanterie de Marine qu’il déserta à nouveau. Il a déjà tué en duel un homme qui l’accusait de tricherie en Suisse. Il a récidivé en arrivant à Paris. Sans le sou et sans abri, là encore, accusé de tricherie il tue au pistolet en duel le neveu de Benjamin Constant. “« La vue de son sang ne me causa aucune émotion. » “. Il sera arrêté peu de temps après pour le vol d’un cabriolet.
Commencent alors de multiples séjours en prison, notamment à la Force. C’est ce qu’il appellera plus tard son “apprentissage” avec l’espoir de faire de lui un chef de gang. L’homme a basculé de fait dans la délinquance : Faux en écritures, vols et tentatives d’assassinats sur des garçons de recette chargés de l’encaissement des effets de commerce se succèdent.
L’avocat commis d’office plaidera la folie. En vain, au bout de 3 jours de procès la sentence tombe : Lacenaire et Avril sont condamnés à mort et le troisième complice aux travaux forcés à perpétuité.
Le pourvoi en cassation ne changera pas le verdict mais permettra à Pierre-François Lacenaire d’écrire “les Mémoires, révélations et poésies de Lacenaire, écrits par lui-même à la Conciergerie”.

> L’écriture pour la postérité

Les gardiens ont raconté qu’il griffonnait ses textes toute la journée. Il y révèle le fonds de sa personnalité dont une volonté suicidaire qui l’aurait conduit à tous ses méfaits. Il reçoit dans sa cellule la haute société parisienne, “émerveillée par son éducation et son talent”, signe des autographes. Ses textes ont enrichi les facettes du personnage ou l’ont complexifié. Lacenaire tient ici sa véritable réussite.
De nombreux écrivains énonceront leur clef de lecture du personnage. Deux films l’immortaliseront à jamais : “Les enfants du Paris (1945) de Marcel Carné et “Lacenaire‘ (ou l‘élégant criminel) de Francis Girod sorti en 1990 et dont le rôle est interprété par Daniel Auteuil.

Lacenaire lors de son procès

> L’exécution

Le 9 janvier 1836, Avril et Lacenaire montent sur l’échafaud de la barrière Saint-Jacques.
Selon Victor Cochinat (“Lacenaire : ses crimes, son procès et sa mort” 1857), Avril monta le premier en disant :
” – Adieu, mon vieux Lacenaire adieu, courage, j’ouvre la marche”. Et il répétait encore cet adieu, lorsque le couteau coupa sa phrase. . Le bourreau empêchait Lacenaire de voir l’exécution d’Avril. Mais avec une politesse cérémonieuse qui ne le quittait jamais, Lacenaire lui dit : “- Monsieur le bourreau, seriez-vous assez bon pour me laisser voir Avril?”
Selon Cochinat, la lame de la guillotine se coinça et le bourreau Henri-Clément Sanson* dû relancer le couperet qui sectionna le menton du condamné en tombant.
Inquiet du courant de sympathie qui s’était fait jour dans la population, le Garde des Sceaux aurait fait modifier le compte rendu de l’exécution de la Gazette des Tribunaux, journal officiel mentionnant que “Lucenaire n’avait su affronter à l’échafaud sans trembler”. Les journaux du lendemain corrigèrent cette affirmation en rétablissant la vérité sur la fin du “monstre bourgeois”.

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