La guillotine est un sujet que j’ai abordé dans plusieurs articles. On trouve de nombreuses anecdotes sur “la Louison“, “le rasoir national”, “la raccourcisseuse”, “le massicot” – elle fut affublée de tant de surnoms. Il est une anecdote qui est très surprenante. C’est l’intervention du roi Louis XVI dans les travaux de conception de la machine.
Mais avant de donner plus de détails sur cet épisode, faisons un petit retour sur la genèse de cette invention.
> Les moutons du 9 de la Cour du Commerce-Saint André
Le Docteur Joseph Ignace Guillotin loge au 9 de cette rue dite Cour du Commerce Saint André chez le menuisier Schmidt.
Son logeur, d’origine allemande, est facteur de clavecin, très habile en mécanique et en travail du bois. C’est aussi un excellent musicien et il avait eu l’occasion de venir accorder le clavecin de Charles-Henry Sanson, qui n’est autre que le bourreau officiel exécuteur des hautes œuvres.
Et oui, on peut être bourreau et mélomane.
Notre homme joue du violon et du violoncelle et depuis quelques temps Schmidt et Sanson se retrouvent certains soirs pour jouer les œuvres de Christoph Willibald Gluck.
Guillotin travaille sur un projet qui viserait à rendre l’exécution capitale plus juste et plus rapide.
A l’époque, tout condamné à mort n’est pas à égalité face à cette sinistre sentence.
Elle varie selon le délit et selon le rang social du condamné.
Le commun des mortels est pendu.
Le noble lui, a la tête tranchée, ce qui lui permet une mort plus rapide, privilège de son rang.
Les hérétiques sont brulés, les faux-monnayeurs ébouillantés.
Les régicides sont torturés puis écartelés par 4 chevaux. Ce sera le cas de Ravaillac, meurtrier d’Henri IV (voir notre article).
C’est le menuisier Schmidt qui dessine le prototype de la future guillotine.
Pour sa part et fort de son expérience, le bourreau Sanson insista pour que Guillotin et Schmidt adaptent à leur machine une bascule sur lequel le condamné serait attaché et qui l’amènerait directement en position couchée la tête à la verticale de la lame qu’une mécanique déclencherait. Sanson soulignait qu’il était très difficile voire dangereux pour les aides de tenir un condamné à genoux la tête sur le billot.
Guillotin propose le 1er décembre 1789 son projet de réforme dont le premier article précise que « les délits de même genre seront punis par les mêmes genres de peines, quels que soient le rang et l’état du coupable », et demande que « la décapitation fût le seul supplice adopté et qu’on cherchât une machine qui pût être substituée à la main du bourreau » . Il prononce sa célèbre phrase :
« Avec ma machine, je vous fais sauter la tête en un clin d’œil, et vous ne souffrez point.
La mécanique tombe comme la foudre, la tête vole, le sang jaillit, l’homme n’est plus. »
Les trois hommes font ainsi des essais sur des moutons. Participent à ces préparatifs le charpentier Guidon et le médecin du Roi, Antoine Louis chargé par l’Assemblée de donner son avis sur ce nouveau mode d’exécution.
Le mardi 17 avril 1792 des essais sont faits sur des cadavres à l’hôpital Bicêtre qui est aussi une prison. Antoine Louis en fait un rapport très positif :
« Les expériences de la machine du sieur Schmidt ont été faites mardi à Bicêtre sur trois cadavres qu’elle a décapités si nettement qu’on a été étonné de la force et de la célérité de son action. Les fonctions de l’exécuteur se borneront à pousser la bascule qui permet la chute du mouton portant le tranchoir, après que les valets auront lié le criminel et l’auront mis en situation »
> Un roi serrurier
Louis XVI, de son véritable prénom Louis Auguste avait un frère plus âgé de 3 ans qui était destiné à être roi : Louis-Joseph-Xavier-François duc de Bourgogne. Ce jeune homme est brillant, très à l’aise à la cour, parfois même arrogant. Il monte à cheval, s’intéresse aux Arts alors que Louis Auguste se passionne pour … la serrurerie, ce qui lui attire moqueries des courtisans. Il passe des heures en privé à fabriquer des clés, des cadenas ou des mécanismes complexes pour des coffres secrets.
Louis-Joseph fait une chute de cheval qui le rendra boiteux mais surtout il contracte la tuberculose en 1760. Il en mourra un an plus tard. Leur père, doté d’une santé fragile, décède en décembre 1765. Puis le grand-père Louis XV en mai 1774. Louis-Auguste devient Roi de France.
> La réunion du 2 mars 1792
C’est aux Tuileries que se serait tenue cette réunion dans le cabinet du Docteur Louis, médecin du roi. Le compte rendu de cette rencontre nous vient une fois de plus des mémoires de Sanson dont l’authenticité des faits est douteuse – nous savons que ces récits ont été écrits par Honoré de Balzac.
” Ils parvinrent ainsi jusqu’au cabinet du docteur Louis, qu’ils trouvèrent assis sur une chaise devant une table recouverte d’un tapis de velours vert avec une frange d’or. Après quelques paroles gracieusement confraternelles échangées entre les deux médecins, Antoine Louis demanda à voir le plan de la machine. Guillotin lui donna le dessin de Schmidt, auquel mon grand-père avait ajouté une légende explicative en indiquant par des lettres alphabétiques l’emploi de chaque pièce. Tandis qu’il était en train de l’examiner, une portière en tapisserie fut soulevée et un nouveau venu parut dans le cabinet.
Le docteur Louis, jusqu’alors assis, se leva. L’arrivant jeta un regard froid sur Guillotin, qui s’inclinait profondément, et s’adressant brusquement à Antoine Louis lui dit :
– Eh bien ! docteur, qu’en pensez-vous ?
– Cela me parait parfait, répondit le docteur et justifie pleinement tout ce que M. Guillotin m’en avait dit. Du reste, jugez vous-même.
Et il passa le dessin à celui qui l’avait interrogé. Celui-ci le considéra un instant en silence, puis il finit par secouer la tête en signe de doute.
– Ce fer en forme de croissant est-il bien là ce qu’il faut ? Croyez-vous qu’un fer ainsi découpé puisse s’adapter exactement à tous les cous ? Il en est qu’il ne ferait qu’entamer, et d’autres qu’il n’embrasserait même pas.
Depuis l’entrée de ce personnage, Charles-Henry Sanson n’avait perdu ni un coup d’œil ni une parole. Le son de cette voix vint lui prouver que sa première impression ne l’avait point trompé : c’était bien le roi qu’il avait devant lui ; le roi en habit sombre, sans ordres sur la poitrine, et qui, à l’attitude qu’il avait prise et imposait à ceux qui devaient le reconnaître, montrait qu’il voulait cette fois garder l’incognito.
Charles-Henry Sanson fut frappé de la justesse de son observation, et, portant machinalement les yeux sur le cou du roi, que de minces cravates de dentelles laissaient toujours découvert, il remarqua que ce prince, du reste très vigoureusement constitué, avait un cou musculeux dont les proportions dépassaient de beaucoup le croissant indiqué par le crayon de Schmidt.”
Ce récit, bien que savoureux, est aujourd’hui attesté comme faux.
D’ailleurs le jour de l’exécution de Louis XVI, le 21 janvier 1793, la lame était toujours en forme de croissant de lune, comme l’atteste le dessin suivant d’un auteur inconnu mais conservé au Musée du Louvre.
Si le sujet vous intéresse, vous pouvez en apprendre plus sur la dynastie des bourreaux Sanson, la chapelle expiatoire ou faire une balade un peu originale dans Paris en suivant le dernier voyage vers la guillotine de Charlotte Corday, condamnée à la peine capitale pour l’assassinat de Marat.