La route ordinaire vers la Louison

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Portrait Charlotte Corday par Hauer

Les romans historiques ont cela de passionnant qu’ils sont de formidables machines à remonter le temps. Ils s’appuient toujours sur des recherches sérieuses de leur auteur et à ce titre imposent le respect.
Lorsqu’ils se déroulent à Paris, ils nous donnent en plus une occasion rêvée d’en retrouver les lieux.
Un monument en matière de roman historique est l’œuvre de Maurice Druon “Les Rois Maudits“.
Il faut un peu de courage pour en lire les 7 volumes auxquels j’en ajoute un 8eme pour les passionnés d’histoire qui pourront faire le parallèle entre vérité historique et ce roman : l’excellente analyse d’Eric Le NabourLes Rois Maudits, l’enquête Historique“.

Nous allons nous appuyer pour cette balade un peu originale – je le conçois – que je vous propose, non pas sur un roman historique au sens propre, mais sur des mémoires, celles d’un des plus célèbres bourreaux qu’ont connus notre histoire, Charles Henri Sanson.
Nous avons déjà consacré un article à cette famille d’exécuteurs.
On sait désormais que derrière ses textes il y a la plume d’Honoré de Balzac et que probablement les faits ne se sont pas totalement déroulés comme cela est écrit.
Il n’empêche que voici une bonne occasion de vous projeter d’une façon originale dans cette époque si troublée.

On est parti pour la balade.
Vous pouvez en suivre le tracé sur cette carte à l’aide des repères.

La route ordinaire” et aussi “la voie funèbre“, c’est ainsi qu’on nommait le parcours en charrette qui conduisait les condamnés à mort dans Paris vers la “Louison“, surnom donné à la guillotinée installée sur la place de la Révolution, notre place de la Concorde actuelle.
Et ce chemin, nous allons l’emprunter le 29 Messidor de l’An 1 en suivant Charlotte Corday vers la mort.
Pendant que vous vous rendez au point de départ de cette balade, soit devant l’actuel Palais de Justice, Palais de la Cité qui abrite à l’époque le Tribunal Révolutionnaire et qui jouxte la Conciergerie, je vais vous remémorer le contexte de notre histoire.

> Charlotte Corday veut sauver la Révolution

Charlotte Corday est d’une famille noble sans fortune. Elle vit à Caen et croit aux réformes du début de la Révolution.
Elle se place du côté des Girondins mais elle est rapidement écœurée par la violence collective encouragée par les activistes jacobins.
Pour elle, Marat est le symbole de la terreur. C’est une personne de caractère.
Un de ses parents, Frédéric de Corday, écrira d’elle plus tard :

« Charlotte avait le feu sacré de l’indépendance, ses idées étaient arrêtées et absolues. Elle ne faisait que ce qu’elle voulait. On ne pouvait pas la contrarier, ceci était inutile, elle n’avait jamais de doutes, jamais d’incertitudes. Son parti une fois pris, elle n’admettait plus de contradiction. Son oncle, le pauvre abbé de Corday m’en a parlé dans les mêmes termes, comme d’une personne qui avait un caractère d’homme.

Il est vrai que, de son côté, Marat est virulent dans son journal  L’Ami du Peuple qu’il a créé, au numéro 8 dans la Cour du Commerce, ce passage qui existe toujours.

L’Ami du Peuple, le journal de Marat

Ironie de l’histoire, son voisin n’est autre, au no 9 chez le menuisier Schmidt, que Joseph Ignace Guillotin. C’est dans ces locaux qu’il a expérimenté sa guillotine sur des moutons.
Excellent tribun, Marat ne peut plus se rendre à la Convention nationale car il souffre d’une affection cutanée qui l’oblige à demeurer dans sa maison de la rue des Cordeliers et d’y prendre des bains réguliers pour apaiser ses douleurs et ses migraines. Depuis sa baignoire, dans sa salle de bain, iI y écrit sur une planche posée en travers de la baignoire et reçoit, un drap cachant sa nudité.
Pour Charlotte Corday, il est devenu sa cible, après qu’elle eu entendu le député girondin de Pézenas s’écrier : « Faites tomber la tête de Marat et la patrie est sauvée“.
Elle est arrivée à le 11 juillet 1703 Paris et demande par lettre à rencontrer Marat.

« Je viens de Caen, votre amour pour la patrie doit vous faire désirer connaître les complots qu’on y médite. J’attends votre réponse. »

Pas de réponse.
Le 13 juillet, elle se présente alors au domicile de Marat mais son épouse ne la laisse pas passer la porte. Mais, déterminée, elle revient dans la soirée et là Marat demande à sa femme de la laisser entrer.
Il interroge la jeune femme sur les prétendus traîtres girondins de Caen et lui demande leurs noms.
Charlotte Corday lui fournit une liste.
“- Bien“, dit Marat. ” – Dans quelques jours, je les ferai tous guillotiner “.
Et c’est alors qu’elle lui transperce le flanc gauche perforant cœur et poumon d’un coup d’un long couteau de cuisine.

Jules Aviat (1844-1931), Charlotte Corday et Marat, 1880.
Huile sur toile

La mort de Marat provoque une onde de choc dans tout Paris. Il va devenir très rapidement un martyr révolutionnaire. Mais qu’il ait été assassiné par une femme en rajoute à la surprise.
Une croyance populaire voulait qu’une femme fut incapable biologiquement de commettre un meurtre. Charlotte Corday ne pouvait avoir agi que contrainte par un homme, sûrement son amant.
Lors de son procès, le 16 juillet devant le Tribunal Révolutionnaire, elle déclara avoir agi seule et lorsqu’on lui demanda pourquoi elle avait tué Marat, elle répondit :

“Je savais qu’il pervertissait la France. J’ai tué un homme pour en sauver cent mille… J’étais républicaine avant la Révolution et je n’ai jamais manqué d’énergie”

Elle est condamnée à mort.

Pendant le procès il se passa un évènement original. Lamartine nous parle de ce peintre, également officier de la garde qui avait fait un dessin de Charlotte Corday pendant la séance et qu’elle remarqua et fit venir dans son cachot de la Conciergerie pour le terminer :

« L’artiste, qui avait ébauché les traits de Charlotte Corday devant le tribunal était M. Hauer, peintre et officier de garde nationale de la section du Théâtre-Français. Rentrée dans le cachot, elle pria le concierge de le laisser entrer pour achever son ouvrage. M. Hauer fut introduit. Charlotte le remercia de l’intérêt qu’il paraissait prendre à son sort et posa avec sérénité devant lui. On eût dit qu’en lui permettant de transmettre ses traits et sa physionomie à la postérité, elle le chargeait de transmettre son âme et son patriotisme visibles aux générations à venir. Elle s’entretint avec M. Hauer de son art, de l’événement du jour, de la paix que lui laissait l’acte qu’elle venait de consommer. Elle parla de ses jeunes amies d’enfance à Caen, et pria l’artiste de copier en petit le portrait en grand qu’il exécutait, et d’envoyer cette miniature à sa famille. »

 Alphonse de Lamartine, Histoire des Girondins, Bruxelles, 1851

> De la cour du Mai au cimetière de la Madeleine

Revenons à notre balade.
Vous voilà devant le bâtiment du Palais de Justice (repère A).
Remarquez les deux arcades qui entourent l’immense escalier de cette cour dite “cour du Mai“.

La sortie des condamnés

La charrette des condamnés du bourreau stationne devant la voute de droite. C’est par là qu’on entre et sort de la Conciergerie.

Charles-François-Gabriel Le Vachez sourc wikipédia

Le bourreau possède deux charrettes. Il sera souvent contraint d’en louer d’autres car les exécutions vont s’enchainer. A chaque fois, cela lui coûtera 20 francs sur ses deniers, dont 5 francs de pourboire car les loueurs sont réticents à louer des charrettes où les corps décapités sont souvent déposés à même le fond.
Charles-Henri Sanson, le bourreau est déjà dans la cellule de la condamnée.
Le peintre est en train de terminer le portrait de Charlotte Corday quand entrent deux huissiers et l’exécuteur des jugements criminels. Ils portent une paire de ciseaux et la chemise rouge que doivent porter les assassins lors de leur exécution. La sentence est lue à Charlotte Corday.
Le bourreau coupe les cheveux de la condamnée qui en tend une mèche à Jean-Jacques Hauer. Elle revêt la fameuse tenue rouge des assassins et on lui attache les mains.

Charlotte Corday par Emery Duchesne, 1880

Les gardes entourent la charrette dans laquelle monte la condamnée. Il y a deux chaises. Le bourreau l’invite à s’asseoir. Elle refuse avec un sourire. Charles-Henri Sanson, surpris, lui répond qu’elle a raison et qu’elle sentira moins les cahots des pavés. Elle sourit encore. Elle se tient aux ridelles. Fermin, l’assistant du bourreau s’assoit à l’arrière de la charrette.

Le convoi s’ébranle, sort de la Cour devant une foule de badauds déjà nombreuse.
A la sortie du palais, c’est une petite place semi-circulaire très animée où s’est installé le débit de tabac très fréquenté de la mère Guibal. On tourne à gauche pour rejoindre le Pont au Change qui traverse la Seine. Le trajet va durer 3 quarts d’heure à une heure et demie selon l’affluence.
Vous savez que les ponts étaient bordés de maisons mais celles du Pont au Change viennent d’être détruites quelques années auparavant en 1788 car trop sujettes aux incendies. En témoignent des peintures très intéressantes exposées au musée Carnavalet. Imaginez donc que Charlotte Corday a pu jeter un regard sur le fleuve et l’immense bâtiment de la Conciergerie.

Au bout du pont, tournez à gauche et suivez le quai de la Mégisserie (repère B).
Vous arriverez au niveau du Pont Neuf où se trouve le nouveau magasin de la Samaritaine.
Bien entendu à l’époque, si le Pont Neuf est bien là, le magasin n’existe pas encore.
La charrette de condamnés emprunte la Rue de la Monnaie à droite (repère C), puis dans son prolongement, la rue du Roule pour arriver sur la rue du Faubourg Saint Honoré qu’elle prend à gauche.
Commence alors une longue ligne droite dans cette rue étroite où on loue les fenêtres pour voir passer les charrettes à ridelles, appelées par dérision « carrosses à trente-six portières », pour pouvoir cracher sur les condamnés ou leur crier des obscénités. Selon le nombre de condamnés à transporter, dix, quinze, trente personnes voire plus sont debout dans les carioles. On crie “à mort, a mort” à leur passage.
Charlotte Corday, elle, reste insensible aux cris de ceux qui marchent à côté du convoi.
Imaginez la jeune condamnée en habit rouge droite dans la charrette et tous ces badauds qui l’injurient.
Nous sommes en juillet et les chaleurs sont telles que le corps de Marat n’a pu être exposé à ceux qui en ont déjà fait un martyr.
Il tonne et la pluie tombe quelque temps sur le parcours.
Le convoi passe le long de la pharmacie Saint Honoré au 115. Cette pharmacie existe toujours. C’est la plus ancienne de Paris (repère D).

La plus vieille pharmacie de Paris

C’est dans cette officine que le Comte de Fersen achetait l’encre sympathique avec laquelle il écrivait des lettres secrètes à Marie Antoinette enfermée à la prison du Temple.
Selon les mémoires de Sanson, à une fenêtre se tiennent Robespierre, Camille Desmoulins et Danton.
Robespierre semble particulièrement animé mais les autres ne l’écoutent pas et les yeux de Danton ne quittent pas Charlotte Corday.
Plus loin, nous longeons le Palais-Égalité (le Palais-Royal). C’est dans une des boutiques de ses arcades que Charlotte Corday a acheté quelques jours auparavant pour 40 sous, le fameux couteau de cuisine à manche d’ébène et virole d’argent dans la boutique du coutelier Badin au no 177 de l’actuelle galerie de Valois (repère E).
Le convoi arrive devant  l’église Saint-Roch dont le parvis est rempli de monde (repère F). .

Il y a tellement de gens dans les rues étroites que le convoi avance lentement. Sanson se risque à une question :
– Vous trouvez que c’est bien long, n’est-ce-pas ?
Charlotte Corday répond :
– Bah! Nous sommes toujours sûrs d’arriver.
Un dernier virage à gauche qui nous fait laisser l’actuelle Eglise de la Madeleine au fond à droite (à l’époque le Temple des Victoires) et le convoi débouche sur la rue de la Révolution (aujourd’hui Rue Royale – repère G). C’est la dernière ligne droite.
On atteint l’actuelle place de la Concorde qui vient d’être rebaptisée Place de la Révolution.
Sanson se met devant Charlotte Corday pour qu’elle ne voit pas la guillotine.
Mais elle se penche en avant en disant :
– J’ai bien le droit d’être curieuse, je n’en ai jamais vue
La guillotine se trouvait au niveau de la statue actuelle de la Ville de Brest (repère H). .

C’est à cet emplacement qu’était dressée la guillotine

Alors que le bourreau est occupé avec les gendarmes à repousser des individus qui entourent la charrette, Charlotte Corday monte déjà l’escalier de l’échafaud.
Immédiatement Fermin lui enlève son fichu et Charlotte Corday est sanglée sur la bascule.

Ne voulant pas prolonger une seconde de plus l’agonie de cette femme courageuse, Sanson fait un signe à Fermin qui actionne le déclic. La lame tombe. C’est fini.
Et c’est alors qu’un des hommes du groupe d’individus qui avaient entouré la charrette monte sur l’estrade, un charpentier au nom de Legros, et saisit la tête de Charlotte Corday, la montre au public et lui assène quelques claques. Est ce une légende ? On dit que la tête rougit sous la gifle du charpentier, une histoire qui fut longtemps utilisée comme preuve pour ceux qui croyaient que les humains restaient conscients pendant un certain temps après avoir été décapités.

Les dépouilles des guillotinés prenaient ensuite le chemin des fosses communes du cimetière de la Madeleine qui restaient ouvertes au grand dam des riverains.
Aujourd’hui se dresse à son emplacement la chapelle expiatoire que nous avions évoquée lors d’un précédent article. Je vous invite à le lire pour revivre ce qui se passait une fois que la guillotine avait fait son œuvre .
Nous allons nous à y rendre.

La charrette du bourreau remontait la rue Royale jusqu’à l‘Eglise de la Madeleine (repère I).
Nous, nous emprunterons le boulevard Malesherbes à gauche qui fut créé plus tard par le baron Haussmann, puis la rue Pasquier à droite. Elle débouche sur l’ancien emplacement du cimetière de la Madeleine où se tient aujourd’hui le jardin abritant la Chapelle Expiatoire (repère J). Ce sera la fin de cette balade.


Les restes de Charlotte Corday feront partie des 510 condamnés qui y seront enterrés tout comme Louis XVI, Marie-Antoinette et la Comtesse du Barry.
Mais auparavant, le jeune femme de 24 ans sera autopsiée à la demande du tribunal révolutionnaire.
L’examen conclura à sa virginité. Preuve pour le tribunal s’il en est qu’aucun homme ou amant n’avait armé son bras meurtrier.
On raconte aussi que Charles-Henri Sanson aurait gardé la tête de Charlotte Corday qu’il aurait remise à Danton.

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